Maripasoula : loin en France



Aujourd’hui, de Cayenne, je me suis rendue à Maripasoula, qui se situe sur le fleuve Maroni qui délimite la frontière avec le Suriname. J’ai rencontré le maire Serge Anelli, une partie de l’équipe municipale, ainsi que des représentants du collectif Apachi qui œuvre pour le désenclavement de l’Ouest guyanais.  





Une vie en autarcie 

Maripasoula, la plus vaste commune de France, est une ville isolée. Et c’est peu dire : aucune route ne la dessert, elle n’est accessible que par voie aérienne ou fluviale. Les nombreuses problématiques qui la touchent résultent en grande partie de cet enclavement : coût de la vie quotidienne, approvisionnement et desserte en énergie (catastrophiquement irrégulière), accès à l’eau,  scolarité, logement, santé… 

Le mode de transport le plus courant, pour aller de Cayenne à Maripasoula, est un petit avion géré par Air Guyane. Dès que la compagnie arrête les liaisons, la ville se retrouve isolée du monde : c’est arrivé plusieurs fois ces dernières années, lors de mouvements sociaux et après un accident en novembre 2022. Même en dehors de ces périodes d’arrêt des liaisons, la qualité du service n’a fait que diminuer. Pourtant, la délégation de service public accordée à Air Guyane pour l’exploitation des lignes intérieures de la Guyane prévoit 10 dessertes aller-retour par semaine. 

Serge Anelli, maire de Maripasoula, le déplore : “avant, on pouvait faire l’aller-retour dans la journée, aujourd’hui c’est impossible”.  L’alternative, c’est 2 jours de pirogue pour rejoindre Saint-Laurent du Maroni. “On est coupés du monde”, me résume-t-il. L’angoisse est d’autant plus grande après l’annonce du placement en liquidation judiciaire du groupe propriétaire de la compagnie aérienne. 







Maripasoula, c’est la ville de toutes les pénuries : les coupures d’eau et d’électricité y sont monnaie courante (en septembre 2022, la commune a été privée d’électricité et d’eau pendant 4 jours !), de même que les ruptures d’approvisionnement en produits de consommation, en essence, en médicaments… Et lorsque les biens sont disponibles, ils sont terriblement chers. Je vous donnais ces exemples dans ma note d’hier : si une bouteille d’eau vaut 2 euros à Cayenne, elle en coûte 6 à Maripasoula ; une bonbonne de gaz y coûte 60 euros, contre 20 euros sur le littoral. 

Après une heure d’hélicoptère de Cayenne à Maripasoula, nous embarquons pour un trajet de 2h30 en pirogue afin de visiter trois villages amérindiens : Antecume Pata, Twenke et Taluhwen. Le temps nous semble long : c’est le quotidien des habitants du Maroni. Je fais le voyage avec une directrice d’école, qui n’a qu’un accès limité à internet dans le village où elle enseigne. Elle fait donc 2 heures de pirogue pour aller préparer ses cours à Maripasoula. Dans ce village, il n’y a pas de collège. Ses enfants habitent donc avec sa mère à Maripasoula, où elle les rejoint chaque week-end – encore 2 heures de pirogue aller, et 2 heures retour. En chemin, elle m’explique que la plupart des enfants de ces villages font une heure de pirogue pour aller à l’école, et me raconte l’histoire d’enseignants qui venaient prendre leur poste et dont la pirogue s’est retournée avec toutes leurs affaires. 

Localisation des villages étudiés dans la région du Haut-Maroni de la Guyane française, Pierre-Yves Gourves



En juillet 2022, le collectif Apachi (“route” en aluku tongo, une des quarante langues parlées en Guyane) avait organisé les premières assises du désenclavement du Maroni. Des assises auxquelles l’État n’a pas daigné participer. L’objectif : établir un conseil de la continuité et de l’égalité territoriale chargé d’étudier les modalités de construction de la “route du fleuve”. En 2007, cette route avait été promise par Christian Estrosi (alors Ministre des Outre-mer). Les Guyanais n’en ont jamais vu la couleur. 

Le problème est de taille : le réseau routier guyanais ne dessert que les communes du littoral ; les communes de l’intérieur, en particulier celles de l’Ouest guyanais, ne sont accessibles que par avion ou par le fleuve. Mes interlocuteurs du collectif Apachi s’inquiètent : “Les communes du Maroni se vident faute d’infrastructures : les jeunes n’y ont aucune perspective d’avenir”. En effet, loin de se limiter à Maripasoula, la situation est la même pour les autres communes du Maroni, telles que Grand-Santi, Papaïchton, Apatou ou Saül. Elles concentrent pourtant plus de 30 000 habitants. 







Pour Papaïchton, par exemple : promise depuis des années, la construction de la route a été actée par les Accords de Guyane en 2017. Le chantier a démarré puis s’est arrêté en 2020 après seulement quelques kilomètres. Au-delà, il ne reste que des pistes impraticables. 

Le collectif “Sauvons Saül” lançait en juin 2023 un appel à l’aide à travers une pétition pour demander au préfet de faire appliquer les dispositions prévues par la délégation de service public à Air Guyane, afin que la compagnie augmente le nombre de rotations. 

Allô Macron ? Il y a urgence  

Cet isolement total a de lourdes conséquences sanitaires. 

Parmi les 40 000 personnes privées d’accès à l’eau en Guyane, une grande partie se situe dans les communes isolées du Maroni. Cela induit de nombreux risques sanitaires dans ces territoires : ainsi, faute d’eau courante, certains habitants utilisent l’eau du fleuve pour faire leur vaisselle. Pour boire, ils récupèrent l’eau de pluie qu’ils stockent dans des bidons où des bactéries se développent, la rendant rapidement impropre à la consommation. 

Les conséquences sanitaires liées au manque d’accès à l’eau sont doublées des conséquences de l’isolement : il est impossible d’évacuer dans des délais rapides les malades atteint d’affections graves. Pourtant, selon les membres du collectif Apachi avec lesquels j’ai échangé, construire un hôpital coûterait moins cher que les évacuations sanitaires par hélicoptère actuelles – il y en a 4 ou 5 par semaine ! Pas d’hôpital donc, a fortiori, pas de maternité : “Tous les enfants guyanais naissent à Cayenne !”. 

Comment l’État peut-il accepter que les Guyanais vivent dans ces conditions ? Je vous parlais de mépris et de violence dans ma précédente note : comment qualifier autrement l’attitude d’Emmanuel Macron lorsque, pour toute réponse face à la colère des Guyanais, il a osé dire “je ne suis pas le père Noël” ?

De cette situation découlent des constats terribles : les communautés amérindiennes de Guyane connaissent un taux de suicide entre 10 et 20 fois plus élevé que celui de l’Hexagone. Cette catastrophe touche particulièrement les jeunes. Un rapport avait été remis au gouvernement en 2015, ses préconisations n’ont pas été suivies d’effets.

Il y a urgence à engager un plan pluriannuel d’investissement et de développement des services publics en Guyane, en particulier de transports. Le plan d’urgence proposé par le gouvernement après les mouvements sociaux de 2017 avait été rejeté par les Guyanais qui considéraient que ce plan était “impropre à rattraper le retard endémique et structurel de la Guyane en matière d’infrastructures sanitaires, éducationnelles, sociales, routières”. 


Ils ont raison. Ils méritent mieux.




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