ONU, Gaza, planification écologique : mon déplacement à New York

Les 27 et 28 septembre, j’étais invitée, en tant que députée, co-présidente de l’Institut La Boétie et coordinatrice du programme l’Avenir en Commun, à participer à un colloque organisé par le Remarque Institute de la New York University (NYU). Ces discussions portaient sur le thème “L’Europe et la planète : réponses démocratiques et sociales à la crise climatique”. Présente à New York, j’en ai profité pour créer et renforcer nos liens avec la gauche de rupture états-unienne, et apporter mon soutien au puissant mouvement pour la paix en Palestine qui existe là-bas. Comme vice-présidente de l’Assemblée nationale française, j’ai souhaité discuter avec notre diplomatie et avec des responsables des Nations Unies, alors que se tenait leur Assemblée générale. 

Qui pour sauver l’ONU ?

Je commence par là. La semaine de l’Assemblée générale est la plus chargée de l’année aux Nations Unies. Cette année, évidemment, la situation était encore aggravée par le fait que l’Assemblée générale se tenait alors même que M. Netanyahou préparait sous les yeux de tous son agression du Liban. Au milieu de ce tumulte, plusieurs hauts responsables de l’organisation ont pris le temps d’échanger avec moi : M. Guy Ryder, secrétaire général adjoint chargé des politiques, Mme Ligia Noronha, chef du bureau du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), M. Li Junhua, secrétaire général adjoint chargé des affaires économiques et sociales, M. Jean-Pierre Lacroix, secrétaire général adjoint chargé des opérations de paix, M. Amandeep Singh, envoyé spécial du secrétaire général pour les technologies, et M. Achim Steiner, administrateur du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). 

Ils ont pris ce temps pour m’informer des derniers développements importants de la coopération inter-étatique, et trop souvent pour m’alerter sur la situation difficile du système onusien. Tous sont parfaitement conscients que la situation politique française depuis les dernières élections pourrait conduire la gauche et les insoumis à assumer des fonctions gouvernementales dans quelques mois. Beaucoup d’entre eux savent pouvoir compter sur La France insoumise comme un précieux allié dans le débat public et les institutions françaises. L’efficacité et l’effectivité de l’ONU ne dépendent en effet que de la volonté des États membres qui la composent. Sans moteurs pour faire progresser le multilatéralisme1 et le préférer au règlement des conflits par la force, alors l’ONU et le droit international reculent. C’est le cas aujourd’hui. 

Rencontre avec Achim Steiner, administrateur du Programme des Nations Unies pour le Développement

Premier problème de cette importante institution : sa légitimité. Son architecture repose ainsi sur le monde de 1945. Les 5 pays reconnus comme vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, dont le nôtre, disposent du grand pouvoir d’être membres permanents du Conseil de sécurité et sont détenteurs d’un droit de veto sur ses décisions. Le monde a bien changé depuis. Le Sud global demande légitimement de plus en plus de place au sein de ces institutions. Le sujet de la réforme du Conseil de sécurité est donc central pour la légitimité de l’ONU. Il était à l’esprit et dans la bouche de tous nos interlocuteurs, quel que soit leur rôle dans l’organisation. Parce qu’aucune des branches ne peut fonctionner correctement si le centre décisionnaire est bloqué, ou ne bénéficie pas d’une légitimité suffisamment partagée pour appliquer ses décisions. Par exemple, Jean-Pierre Lacroix, qui coordonne le secteur des opérations de maintien de la paix, a besoin de mandats clairs et bien délimités, ainsi que d’un soutien politique sans ambiguïtés pour les 75 000 femmes et hommes déployés sous bannière onusienne dans le monde. 

Pour réformer le Conseil de sécurité, il y a plusieurs directions possibles. La plus discutée est celle de l’intégration de nouveaux membres permanents. Inde, Brésil, représentation de l’Afrique : les mêmes suggestions reviennent souvent. Mais les grandes diplomaties occidentales se cachent derrière les problèmes créés par ces propositions, comme l’opposition du Pakistan à l’entrée de l’Inde, ou les divisions entre États africains, pour justifier l’immobilisme. Il y a aussi la question de l’utilisation du droit de veto. Une proposition française existe : restreindre l’utilisation du droit de veto en cas de crimes de masse, ou de crimes contre l’Humanité. Cette proposition a été répétée à l’Assemblée générale par Emmanuel Macron. Elle mérite qu’on mette plus d’énergie à la défendre. Comme à défendre l’intégration de nouveaux pays dans le conseil, ou l’extension des pouvoirs de l’Assemblée générale qui représente quant à elle les 193 États du monde. La France n’a pas à y perdre. Elle a au contraire à y gagner en montrant qu’elle n’est pas un simple clone du camp occidental, mais au contraire le pays qui défend la légitimité de l’enceinte onusienne. Cette ligne de conduite devrait être valable pour tous les domaines. Ainsi, au sein du PNUD demeure une grande incompréhension face au peu d’investissement de la France de Macron dans le système multilatéral d’aide au développement. Tous mes interlocuteurs m’ont également parlé du “Pacte pour l’Avenir” signé par l’ensemble des États membres juste avant l’ouverture de l’Assemblée générale. Ce document peut trop facilement apparaître comme une liste de bonnes intentions sur la réforme des institutions financières internationales, sur celle du conseil de sécurité, le climat ou l’intelligence artificielle. Mais il est préférable de mettre d’accord 193 États sur de bonnes intentions que sur des mauvaises. Dans le contexte où les puissances font de plus en plus valoir la force plutôt que la négociation ou le droit, c’est un petit pas à soutenir et fortifier. S’en moquer est facile. Mais disposer d’une arène où la Chine, les États-Unis, le Brésil, l’Afrique, la France et jusqu’aux plus petits États peuvent parler ensemble d’intelligence artificielle ou de climat est trop précieux pour le traiter avec cynisme. 

Qui pour arrêter Netanyahou ? 

Une partie du problème qui bloque l’ONU : le deux poids deux mesures des puissances occidentales rendu particulièrement visible par le génocide à Gaza. À l’ONU, l’inquiétude face à la folie criminelle de Netanyahou est très largement partagée. Presque tous mes interlocuteurs m’ont partagé cet effroi. Netanyahou déteste les Nations Unies. Présent à New York pour donner un discours agressif et vindicatif devant une Assemblée générale désertée par de nombreuses délégations, on m’a indiqué qu’il avait refusé la moindre rencontre avec le secrétaire général Guterres. Ce mercredi 2 octobre, on a d’ailleurs appris que le ministre des Affaires étrangères israélien avait déclaré “persona non grata” le secrétaire général des Nations Unies, lui interdisant par conséquent d’entrer en Israël.

J’ai demandé des nouvelles de la FINUL, mission de maintien de la paix onusienne déployée à la frontière sud du Liban. Elle est composée de 10 000 femmes et hommes, dont 700 Français, qui ont pour mission de faire respecter le cessez-le-feu de 2006, date de la dernière invasion du Liban par Tsahal. Le souhait des dirigeants des Nations Unies, y compris du secrétaire général adjoint chargé des opérations de paix est que ces troupes restent sur le terrain, continuent à jouer le rôle qu’elles peuvent, de tampon quand c’est possible et d’aide à la protection des civils. Mais évidemment, les casques bleus ne peuvent rien, ni politiquement ni matériellement, contre l’offensive armée de Netanyahou. Sa puissance de feu est financée par les États-Unis, surtout, et par l’Europe, aussi. C’est pourquoi le mouvement pour la paix outre-atlantique est si important. Il exerce une pression sur le premier bailleur de fonds et armateur de Netanyahou. J’ai participé, le 26 septembre avec les insoumis de New York à la manifestation contre sa venue à l’ONU. J’ai également tenu à rencontrer les porte-parole des principales organisations du mouvement : Beth Miller, de Jewish Voices for Peace, Sumaya Awad, de Adalah Justice Project, Eva Borgwardt de IfNotNow et Audrey Sasson de Jews for Racial and Economic Justice. Dans un pays qui était largement acquis aux thèses néoconservatrices du choc des civilisations dans les années 2000, elles ont réussi à faire bouger l’opinion publique de plus en plus consciente des horreurs commises à Gaza. Elles ont fait un très bon travail pour contourner les habituelles accusations d’antisémitisme – particulièrement déplacées car nombre de leaders du mouvement pour la paix à New York sont juifs – et construire un mouvement de masse. Elles se heurtent cependant à la direction du parti Démocrate – influencer positivement le parti Républicain sur ce sujet n’est même pas une possibilité – qui continue d’être sur la position du soutien inconditionnel, particulièrement important ici puisqu’il s’agit d’armes et de milliards de dollars. Nous avons échangé longuement dans la fraternité. Cette solidarité internationale est indispensable dans un contexte de répression. 

Rencontre avec des camarades du mouvement états-unien pour la paix en Palestine, à l’initiative de la rédaction de la revue The Nation. Beth Miller de Jewish Voices for Peace Sumaya Awad, de DSA et Adalah Justice Project Eva Borgwart, de IfNotNow Audrey Sasson, de Jews for racial and economic justice

Apprendre pour la planification écologique 

Enfin, ma participation au colloque du Remarque Institute fut également très riche et utile en enseignements. J’y ai présenté la vision de la France insoumise de la planification écologique devant un parterre international composé d’universitaires et de responsables politiques. Je pense ainsi avoir expliqué ce que nous voulons faire et contribué à la compréhension globale de ce à quoi pourrait ressembler une France gouvernée par les insoumis. En retour, j’ai moi même beaucoup appris. Avoir dans la même salle les plus grands noms de la pensée critique écologiste mondiale comme Andreas Malm ou Kohei Saito et des responsables politiques de notre camp comme Andrés Arauz, ancien candidat à l’élection présidentielle en Équateur, est une grande chance. L’intervention d’Andrés, par exemple, était très intéressante. Économiste de formation, il a aussi été ministre de la connaissance et du talent humain pendant la présidence de Rafael Correa. Il a évoqué la nécessité de s’appuyer sur d’autres indicateurs que le PIB pour organiser une planification au service d’autres objectifs que ceux impliqués par le système productiviste. Il est également parti de son expérience pour théoriser les blocages qu’imposent le système actuel de commerce international à toute velléité de planification écologique. Il a critiqué le système de brevets qui empêche la circulation des connaissances et des technologies nécessaires à la bifurcation dans le monde entier. Pour ma part, j’ai achevé mon intervention sur la nécessité de construire un nouvel ordre économique qui ne soit plus fondé sur la libre circulation des marchandises et de capitaux et les restrictions sur celle des humains et des connaissances, mais sur les principes inverses. La tâche est ardue, mais chaque jour nous permet d’en entrevoir la possibilité, notamment grâce aux alliances internationales que nous parvenons à nouer.

  1. Le multilatéralisme est un mode d’organisation qui lie différents pays autour d’engagements réciproques. Ces engagements peuvent être d’ordre militaires, juridiques, économiques ou culturels. Ils permettent d’éviter le règne de la loi du plus fort et la domination de quelques-uns. ↩︎

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