Le soir du 7 juillet 2024, l’ensemble de la classe politico-médiatique dominante commentait la naissance d’une nouvelle Assemblée nationale plus puissante, où se trouverait le cœur du pouvoir.
Les commentateurs, pressés d’effacer la victoire du Nouveau Front populaire et la défaite du camp macroniste, saluaient la nouvelle composition de l’Assemblée, insistant sur la nécessité pour l’ensemble des forces politiques de bâtir des compromis. Une nouvelle ère parlementariste serait ainsi née. Pourtant, 2 mois et demi plus tard, il ne s’est rien passé. Élue vice-présidente de l’Assemblée nationale, je n’ai pas pu entrer une seule fois dans l’hémicycle, ni même participer à la moindre réunion sur l’ordre du jour des travaux. Pas une loi n’a été débattue. Pire, il a été impossible pour les députés d’en proposer. Pourquoi ? Parce qu’Emmanuel Macron l’empêche.
Depuis 75 jours, le président de la République organise sciemment le blocage de l’Assemblée nationale. Piétiner le vote des Français en refusant de nommer le Nouveau Front populaire à Matignon ne lui aura pas suffi. Il lui aura aussi fallu priver la représentation nationale de l’exercice de ses fonctions pourtant déléguées par la souveraineté populaire. Comment ?
D’abord, en mettant 51 jours pour nommer un Premier ministre au prétexte d’une trêve olympique, chimère inventée pour justifier son refus de reconnaître que nous avions remporté l’élection. Ensuite, en nommant comme Premier ministre Michel Barnier, issu des rangs du parti des Républicains, qui n’a remporté l’adhésion que de 3,4% des voix des inscrits en juillet 2024. Enfin, en refusant depuis cette nomination la tenue d’une session extraordinaire pourtant demandée depuis l’été par tous, du Parti communiste à la présidente de l’Assemblée Yael Braun-Pivet elle-même.
Je veux être ici très claire : ce délai interminable pour doter la France d’un gouvernement n’est pas le résultat d’une soi-disant absence de majorité absolue. Il dépend uniquement du bon vouloir d’un président de la République déchu qui joue avec les horloges de la République pour ne pas perdre le pouvoir. Sans gouvernement et sans session parlementaire, le pouvoir législatif ne peut ni s’exercer, ni contrôler le pouvoir exécutif. Les parlementaires ne peuvent ni discuter des lois, ni proposer des lois, ni interpeller le gouvernement.
La situation est aberrante : pendant plus de deux mois, un gouvernement démissionnaire macroniste a agi, sans être contrôlé par la représentation nationale. Rien que la semaine du 8 juillet, il a pris plus de 677 décrets et arrêtés, sans que personne ne puisse les contester. Le gouvernement démissionnaire a ainsi fait passer pendant l’été des décisions au service du rouleau compresseur du tout-marché, comme la suspension du repos hebdomadaire des travailleurs agricoles. Ainsi, depuis plus de deux mois, non seulement l’expression démocratique du peuple est bafouée, mais l’équilibre des pouvoirs est rompu. Emmanuel Macron tantôt en refusant de nommer Lucie Castets, tantôt en retardant la formation du gouvernement de Michel Barnier, a privé volontairement le pouvoir législatif d’exercer le mandat que lui peuple lui a confié le 7 juillet dernier. Son indolence confisque la démocratie.
Cette violation institutionnelle et démocratique évidente a privé la représentation nationale de son droit d’initiative parlementaire. Les députés ont été, pendant toute cette période, dans l’incapacité de représenter et de défendre le peuple. Il y a pourtant urgence à légiférer quand 62% des Français sont touchés ou menacés par la pauvreté, que 38% d’entre eux peinent à payer leur loyer ou à rembourser leur emprunt à la fin du mois, et qu’un jeune sur quatre vit en dessous du seuil de pauvreté. Quand seulement 0,6 % des affaires de violences sexuelles enregistrées ont abouti à une condamnation. Et quand en 2023, 1,3 million d’élèves de maternelle auront souffert de températures dépassant les 35°C dans leur salle de classe.
Il ne faut pas se méprendre, le jeu dangereux d’Emmanuel Macron a une explication très simple. Il est aujourd’hui, et en réalité depuis 2022, minoritaire dans le pays et refuse simplement de reconnaître le rejet populaire massif de sa politique autoritaire et de casse sociale. Et il sait très bien qu’écarter Lucie Castets de Matignon en nommant un Premier ministre validé par Madame Le Pen n’empêchera pas le Nouveau Front populaire de défaire sa politique à l’Assemblée nationale. Il use donc de toutes les mesquineries qu’il a encore en son pouvoir pour continuer à dérouler envers et contre tous son agenda néolibéral.
Le 7 juillet 2024 n’a donc pas été la naissance d’une réhabilitation du rôle de la représentation nationale dans la Vème République, mais un tournant dans la crise profonde de ce régime. Dès lors, la dérive autoritaire de Macron n’est pas inconstitutionnelle, elle est l’aboutissement de la philosophie de la Constitution de 1958.
La mainmise du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif poussée à son paroxysme sous le règne marcronien aura donc conduit à la suspension des prérogatives de la représentation nationale.
Il est donc plus que jamais indispensable de passer à la 6ème République, par et pour le peuple. Il est temps de refonder nos institutions à travers un processus constituant, pour enfin sortir de la crise démocratique accélérée par sept années de macronisme. Il est grand temps de sortir d’un régime dans lequel un seul homme peut décider de gouverner contre l’intérêt général du peuple humain. Surtout, il faut donner au peuple le pouvoir de contrôler ses représentants, et de décider par lui-même.