Empêcher le débat public : le dernier cadeau empoisonné de Michel Barnier

Depuis quelques jours, une farce se joue à l’Elysée, autour d’un président en perte de vitesse, désireux de constituer un gouvernement “d’union nationale” au casting rocambolesque. Cela me laisse le temps de vous écrire au sujet des derniers méfaits commis par Michel Barnier juste avant son départ. 

Grâce à notre motion de censure, nous l’avons empêché de supprimer 4000 postes d’enseignants, de faire 400 millions d’économies sur le dos des agriculteurs et nous avons permis que les pensions de retraites soient indexées sur l’inflation. Mais le Premier ministre démissionnaire a profité de son bref séjour à Matignon, le plus court de la Vème République, pour attaquer la démocratie et faire avancer l’agenda climatosceptique qui unit le bloc néolibéral et le bloc réactionnaire. Je vous explique le dernier cadeau empoisonné qu’il nous a légué juste avant sa chute. 

Barnier contre Barnier 

Tout commence en 1995, quand Michel Barnier, alors ministre de l’écologie, crée la Commission nationale du débat public (CNDP) suite à un vif débat autour du déploiement de la ligne à grande vitesse dite “Méditerranée” qui oppose les vignerons et les habitants de la vallée du Rhône à la SNCF. Dès son origine, sa mission est d’organiser les débats publics sur les projets ayant un impact significatif sur l’environnement”, c’est-à-dire de permettre la tenue de consultations locales, publiques et démocratiques, en amont de l’implantation d’un projet d’envergure, pouvant substantiellement modifier la portée de celui-ci. Les prérogatives et les compétences de la CNDP sont progressivement renforcées. Par exemple, elle devient une autorité publique indépendante en 2002, et 14 ans plus tard, une autorité garante des droits du public. Pour vous donner quelques exemples, la Commission a été saisie récemment pour discuter du projet Emili, une mine de Lithium dans l’Allier (03) mais aussi concernant l’extension du port de commerce Galisbay sur l’île de Saint Martin (97). Dans un cas comme dans l’autre, les consultations citoyennes sont indispensables ! Il est essentiel que le peuple se saisisse collectivement à l’échelle locale de ses conditions matérielles d’existence. 

Cette instance est donc pour nous, défenseurs d’une révolution citoyenne, un outil parmi d’autres qui dégage un espace au service de l’expression démocratique et populaire, sorte de trou de souris dans la verticalité du pouvoir de la Vème République. C’est un espace loin d’être parfait : les débats publics ne concernent que les plus gros projets, ne garantissent pas l’information suffisante du public, ne sont pas contraignants, etc. Cela ne suffit pas pour le macronisme qui a d’ores et déjà rabougri la CNDP. En effet, en 2023, Marc Papinutti est nommé à seulement deux voix près président de cette instance. Il s’agit de l’ancien directeur de cabinet de Christophe Béchu, l’ancien ministre de l’écologie. Un conflit d’intérêt majeur qui “ressemblait déjà à un enterrement de première classe de la CNDP. Celle-ci, son autonomie retrouvée quand nous serons au pouvoir, aura un rôle important et disposera de moyens supplémentaires pour permettre, conjointement avec les communes, l’organisation des débats citoyens pour la mise en œuvre la planification écologique. Son organisation devra, surtout, s’intégrer dans une politique dans laquelle on gouverne par les besoins, et non au service de quelques-uns.

De retour en 2024, le 29 novembre, Michel Barnier, alors Premier ministre, décide de s’en prendre à sa propre idée. Il annonce que tous les projets industriels, soit plus de la moitié des projets qui nécessitent des consultations, vont être “exclus du champ d’intervention de la CNDP” pour faciliter l’installation de nouvelles industries en France. Une attaque sans précédent et une première étape selon Florent Guignard, le responsable du suivi des débats publics pour la Commission nationale du débat public, pour qui une fois ces projets sortis de sa compétence, cela deviendra le principal argument pour la supprimer définitivement”. Selon Barnier, les projets industriels “sont trop souvent retardés ou découragés” par les consultations menées par la CNDP. Comprenez en sous titre que le temps de la démocratie gêne l’ex Premier ministre. Pas étonnant, son camp méprise le temps du peuple. Macron et les siens ont jeté à la poubelle les cahiers de doléances de Gilets Jaunes, les travaux de Convention citoyenne sur le climat, des états généraux de l’alimentation, des assises de la mobilité, des consultations citoyennes sur les discriminations etc. 

Mais cela ne s’arrête pas là. Certes, on aurait pu croire que Barnier censuré, la CNDP serait sauvée comme les 4000 postes d’enseignants. Mais le locataire de Matignon a commis une violence anti-démocratique supplémentaire quelques heures avant de dégainer son 49.3. Le jour même de la censure de son gouvernement, il a publié le projet de décret entérinant le détricotage de la CNDP. La ressemblance est écrasante avec la méthode de son prédécesseur Gabriel Attal qui a fait publier les huit décrets d’application de la loi immigration à peine quelques heures avant de remettre sa démission. Les visages changent mais la détestation de la souveraineté populaire reste la même. 

La désindustrialisation comme prétexte 

Cette casse organisée du débat public est non seulement un scandale démocratique mais aussi un scandale écologique camouflé derrière “le grand plan d’urgence” de Michel Barnier pour l’industrie française. Celui-ci a eu cette brillante idée en même temps que celle qui consiste à “exempter” les projets industriels du dispositif zéro artificialisation nette des sols (ZAN) pour cinq ans. Ce grand plan pour l’industrie, qui consiste presque exclusivement à la simplification et la suppression de normes environnementales, repose très largement sur une erreur de diagnostic ou plutôt sur une mascarade. C’est un simulacre qui voudrait faire croire que l’état déplorable du tissu industriel français s’explique par un excès de démocratie et par des politiques écologiques trop exigeantes. Ce à quoi personne ne peut croire sérieusement. C’est une mauvaise excuse montée de toute pièce pour ne pas reconnaître l’échec des politiques néolibérales en matière d’industrie. 

Pour rappel, plus d’un tiers des fonderies françaises ont fermé entre 2006 et 2021. Rien que le mois dernier, ce sont près de 2122 salariés et leurs familles qui ont été laissés sur le carreau suite aux fermetures des sites Michelin et de Valeo, géants de l’automobile. La folie libre-échangiste et les sommes faramineuses d’argent public versées aux entreprises sans contrepartie sont très largement responsables de ce bilan calamiteux. La CNDP n’a rien à voir là dedans. 

Au contraire, il faut planifier la réindustrialisation, en partant du peuple, cheville ouvrière de l’émancipation collective et de la bifurcation écologique. Ce que porte notre programme. Pour nous, pas touche à la Commission nationale du débat public !

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