Un 10 septembre placé sous le signe de l’unité populaire

Avant-hier avait lieu en France le plus grand mouvement social spontané depuis la première manifestation des Gilets jaunes, en novembre 2018. Nous étions 500 000 à travers tout le pays à exprimer notre dégoût et notre colère face à la violence sociale inouïe imposée depuis huit ans par le président de la République. Le message est clair pour la caste oligarchique de ce pays : le Peuple ne rentrera pas chez lui tant qu’Emmanuel Macron occupera encore l’Élysée.

Nous sommes donc entrés dans un moment dégagiste, marqué par une unité populaire massive. En tant que mouvement de la révolution citoyenne, il nous faut analyser avec rigueur la mise en mouvement généralisée de différents mondes populaires qui s’est déroulée ce 10 septembre. C’est l’objet de cette note de blog.

Des mots d’ordre partagés

On l’a vu : le blocage du 10 septembre s’est propagé dans tous les secteurs et dans tout le pays. Pour ma part, j’étais le matin devant Sanofi à Maisons-Alfort (94) avec les grévistes qui luttent contre la vente de leur usine à un groupe allemand. À midi, je marchais aux côtés des usagers et du personnel soignant du Centre municipal de santé de Choisy-le-Roi, qui se battent contre la privatisation. Et l’après-midi, j’étais avec les parents d’élèves et les enseignants de l’école Victor Hugo de Choisy-le-Roi, devant la direction départementale de l’Éducation nationale, pour refuser les fermetures de classes et les classes surchargées. J’ai terminé ma journée par un rapide passage à l’immense assemblée générale qui se déroulait Place des Fêtes à Paris.

J’ai été frappée par les mots d’ordre et les constats partagés que dressaient toutes celles et ceux qui étaient présents lors des différents rassemblements, pourtant mobilisés dans des secteurs distincts. Leurs problèmes ont une cause commune : l’agenda néolibéral d’Emmanuel Macron, qui accélère la désindustrialisation et les délocalisations, démantèle la Sécurité sociale et l’accès aux soins, et détruit l’Éducation nationale. Pour eux, les coupes budgétaires et les politiques au service des ultra-riches sont responsables de la destruction de leurs outils de travail et de la possibilité de le faire correctement. Ainsi, non seulement le macronisme les empêche de payer leurs factures et les fournitures scolaires de leurs enfants, mais en plus il détruit leur travail. Les autres députés insoumis, qui étaient eux aussi aux côtés des travailleurs, des étudiants et des grévistes, sur les ronds-points et dans les cortèges, partout en France, ont tous les mêmes remontées. La date du 10 septembre a donc permis la multiplication d’initiatives, parfois autour de batailles menées depuis plusieurs mois. Mais dans tous ces secteurs, elle est apparue comme une journée d’action naturelle à laquelle se greffer, bien loin des procès en rabougrissement que l’on a pu entendre avant que le succès de l’événement éclate aux yeux de tous.

Ainsi, le peuple français a bien compris que les mêmes causes conduisent aux mêmes effets. Il s’est rassemblé autour d’un constat partagé “Macron est coupable” et de la revendication logique qui en découle “il doit partir”. 

Une riposte populaire généralisée 

Cette convergence dégagiste a permis une massification du blocage, car elle s’est adressée à tous les laissés-pour-compte du macronisme et les a liés les uns aux autres. On a ainsi vu des syndicalistes, mais aussi des collectifs féministes, des collectifs de sans-papiers, des lycéens, des étudiants, des travailleurs racisés, des paysans et bien d’autres, entrer dans l’action. Les classes populaires se sont massivement emparées de la journée du 10 septembre. Son succès s’explique par la mobilisation des broyés du système, qui n’en peuvent plus de l’acharnement des macronistes à leur égard. L’aspect particulièrement jeune et féminin des mobilisations est à cet égard un point d’appui important.

Pour nous, qui nous réclamons de la Révolution citoyenne, cela a été un signal clé du processus d’auto-institution du peuple par le peuple. Alors que le néolibéralisme a accentué la fragmentation des mondes populaires, les voilà qui ont partagé et mis en commun une initiative : celle de tout bloquer à une date donnée.

La conséquence logique de cette généralisation de la mobilisation populaire est la juxtaposition de différents modes d’action, ce qui explique aussi le grand succès d’hier. Ainsi, aux tentatives de blocage de supermarchés se sont ajoutés des blocages de réseaux sur des ronds-points, des autoroutes et des dépôts de bus. Dans les grandes villes, des cortèges spontanés se sont formés. Dans le même temps, les défilés organisés rassemblaient des foules impressionnantes : 80 000 personnes à Marseille et 40 000 à Lille, par exemple. Moins visibles à la télévision, des cortèges inhabituellement importants remplissaient aussi les plus petites villes : 700 à Quimperlé, 400 à Bagnols-sur-Cèze, 300 à Saint-Quentin-Fallavier, tous ces chiffres venant des journaux ou des préfectures, et non des organisateurs !  Devant les écoles et les hôpitaux, on a vu des rassemblements et des brassards rouges avec l’inscription « en grève ». Partout, des assemblées citoyennes ont été convoquées pour décider de la suite. Le peuple a repris en main son destin et s’est auto-constitué dans sa diversité. Les lycéens bloquant leur lycée ont rencontré des cortèges et des syndicalistes. Sur les ronds-points, on a repris les habitudes des Gilets jaunes. L’ingéniosité populaire a battu son plein.

Un succès à analyser sur le temps long

Les épisodes révolutionnaires, comme le mouvement septembriste, s’inscrivent toujours dans le temps long du processus de construction du Peuple, qui s’accélère à des moments clés. Le succès d’hier a été rendu possible par l’accumulation de savoirs populaires acquis lors des mobilisations passées. Le Peuple a appris à bloquer des ronds-points et à décortiquer la Constitution de la Ve République pendant le mouvement des Gilets jaunes, à manifester dans des cortèges spontanés pendant la bataille des retraites, à organiser des assemblées citoyennes pendant Nuit debout.

Cette expérience révolutionnaire, qui se partage, permet à celles et ceux pour qui c’est la première fois de revenir les jours suivants. Ils ont appris avec d’autres camarades comment réagir quand Retailleau ordonne de gazer tous les blocages, ils ont appris à rester calmes quand la répression s’abat. Ils savent aussi à quoi servent les caisses de grève et comment les faire fonctionner pour que le blocage des secteurs clés de l’économie soit le plus long possible.

Hier, à nouveau, des universités ont été bloquées, des supermarchés aussi, comme à Niort. Demain, des assemblées citoyennes sont convoquées pour organiser les manifestations prévues le 18 septembre. Le 10 septembre n’est que le début. Macron doit partir.

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