À Naples, un lieu pour tout changer.

Il y a une dizaine de jours, j’ai eu l’honneur de me rendre à Naples, en Italie, aux côtés de nos camarades belges, espagnols et italiens, pour participer à une conférence contre le plan de réarmement européen et pour la paix. Lors de ce séjour, j’ai découvert la Casa del Popolo (Maison du Peuple) de l’ancienne prison psychiatrique, un lieu autogéré par les habitants, véritable foyer de résistance dans un pays dirigé par l’extrême droite. Cette visite m’a profondément marquée, et il me semblait essentiel de partager cette expérience révolutionnaire avec vous.

Un lieu de mémoire 

Ce dimanche 25 mai, les camarades de Potere Al Popolo, qui m’ont invitée en Italie, me donnent rendez-vous à l’entrée d’un ancien hôpital psychiatrique judiciaire situé dans l’un des quartiers les plus modestes de Naples, avec Ione Belarra, secrétaire générale de Podemos. En me rendant sur place et en demandant mon chemin aux Napolitains, on me répond : « C’est l’ancienne prison psychiatrique », « Êtes-vous sûre de vouloir vraiment aller là-bas ? ». Visiblement, ce n’est pas une destination habituelle pour des étrangers. En Italie, les derniers établissements de ce type ont fermé en 2017, suite à un rapport parlementaire publié en 2011 qui faisait état de graves dérives et de maltraitances des patients/détenus. Ces établissements accueillaient des criminels déclarés irresponsables de leurs actes par la justice. On m’avait expliqué avant mon arrivée que la maison du peuple que j’allais visiter se situait dans cette ancienne prison aujourd’hui fermée.

Tout commence en 2015, lorsque différents collectifs, syndicalistes et ouvriers de Naples, notamment le Clash City Workers et le Collettivo Autorganizzato Universitario, décident d’occuper les locaux, laissés à l’abandon par les pouvoirs publics. Leur objectif était de créer un lieu au service des habitants du quartier, pour pallier les carences des services publics ravagés par des années de politiques néolibérales, et pour organiser leurs luttes. Dix ans plus tard, ils y sont toujours. Ils font vivre, au cœur de Naples, un espace entièrement autogéré au service de l’intérêt général. Je reviendrai sur ce point plus tard.

Le lieu est aujourd’hui, parmi bien d’autres choses, dédié à la mémoire de ces anciennes prisons psychiatriques, et une partie du bâtiment sert de musée pour se souvenir de toutes celles et ceux qui y ont été internés. Notre visite nous conduit rapidement dans les couloirs attenants aux cellules. Je ne peux m’empêcher de penser aux textes de Michel Foucault, pour certains accrochés sur les murs, et à l’une de mes dernières lectures : Mon vrai nom est Elisabeth écrit par Adèle Yon, qui revient, entre autres, sur l’internement des femmes dans les années 1950. En parcourant ces couloirs, mon ventre se tord en imaginant les conditions de vie de toutes ces personnes internées, marginalisées et aujourd’hui pour la plupart oubliées. Ces murs portent les traces d’une histoire douloureuse, mais aussi celles d’une résistance populaire. Je me dis que c’est peut-être le meilleur hommage qu’on aurait pu rendre à ces vies brisées. Les camarades qui ont occupé ce lieu ont su transformer un symbole de répression en un espace de solidarité. La prison psychiatrique est désormais la maison du peuple. 

Les maison du peuple et la constitution d’un peuple révolutionnaire

Il faut savoir que les maisons du peuple sont intimement liées au mouvement social et à notre histoire politique. La première d’entre elles voit le jour en 1872, en Belgique, sous l’impulsion du militant Théophile Massart. À l’origine, ces maisons servaient de coopératives alimentaires pour aider les ouvriers et les plus démunis à se nourrir. Mais très vite, elles ont essaimé un peu partout en Europe, servant également de dispensaires, de pharmacies, de lieux culturels et sportifs. Ces espaces alternatifs d’entraide sont progressivement devenus des foyers de luttes et de résistance au service de la reconstruction d’une solidarité détruite par le règne du tout-marché. 

Un lieu collectif devient toujours un lieu d’élaboration révolutionnaire et d’auto-organisation face à la violence sociale et économique du capitalisme. Il permet aux individus, atomisés par le capitalisme, de se retrouver et de se constituer en une classe pour soi. C’est ce qui s’est passé sur les ronds-points des Gilets Jaunes, qui, d’ailleurs, ont très vite cherché et occupé des lieux.

Je me souviens qu’en 2019, partout en France, des banderoles « Maison du peuple » sont accrochées. À Caen, les Gilets Jaunes s’intallent dans les vieux locaux de la Coop 5 pour 100, à l’est de Paris, une ancienne gare est investie, et à Bordeaux, une demeure de plus de 300 m2 est occupée par le mouvement. Très vite évacuées, les maisons du peuple des Gilets Jaunes témoignent néanmoins de l’importance du processus de réappropriation collective des lieux dans l’auto-institution du peuple par le peuple.

Mais revenons à Naples, car les Case del popolo sont très importantes pour la gauche radicale italienne. C’est ce que m’ont expliqué les camarades là-bas. Dès 1920, elles deviennent les cibles régulières et préférées des fascistes qui comprennent bien qu’elles offrent un espace dédié à la construction d’une contre-hégémonie culturelle. Leur importance sociale est telle qu’une fois le Duce au pouvoir, elles sont réquisitionnées par le gouvernement. Après la chute de Mussolini, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les ouvriers et les syndicalistes les récupèrent. Elles sont alors centrales pour le Parti communiste italien qui y voit l’incarnation d’un contre pouvoir. 

Une expérience communaliste 

En 2025, à Naples, l’ancienne prison psychiatrique, entièrement autogérée par les habitants et les militants, perpétue la longue tradition des maisons du peuple. Comme à leur origine : tout fonctionne grâce au bénévolat, personne n’est salarié et tout est gratuit. La bibliothèque populaire, le centre de santé ambulatoire, le bureau de soutien juridique pour les migrants et les travailleurs, l’espace dédié à l’aide aux devoirs, le terrain de foot et le festival de musique annuel constituent un véritable foyer de résistance aux politiques anti-immigration et de casse sociale conduites par Meloni. Ici se reconstruit un lien social : les bals populaires, où les générations se mélangent et dansent ensemble, les spectacles, et les assemblées citoyennes où chacun a voix au chapitre, ramènent de la joie et repolitisent la vie quotidienne du quartier et de la ville.

En montant sur le toit terrasse de cette maison du peuple du 21e siècle, qui offre une vue imprenable sur la Méditerranée, mes pensées reviennent en France. Je me dis que cette expérience s’inscrit pleinement dans ce que nous appelons le communalisme. La commune est le premier échelon pour réussir la Révolution citoyenne. Un seul lieu peut changer radicalement la vie des habitants d’un quartier, d’une ville. Un seul lieu peut permettre de lutter contre des politiques nationales violentes, inégalitaires et parfois meurtrières. La bataille pour tout changer commence à côté de chez nous, dans des lieux à inventer, sur les ronds-points, ou dans les mairies insoumises.

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