Garantir l’harmonie des êtres humains entre eux et avec l’Amazonie




Aujourd’hui, j’ai échangé avec l’Office national des forêts (ONF), Guyane Nature Environnement et le Grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinengués. On a parlé de la forêt amazonienne, de son exploitation et de sa préservation, ainsi que des droits des peuples autochtones. 

Le territoire de la Guyane est recouvert à 95% par la forêt amazonienne, une forêt tropicale humide qui compte parmi les plus grandes réserves de biodiversité terrestre au monde. Deux menaces principales pèsent sur elle : le réchauffement climatique et l’orpaillage illégal. 

Sur le temps long, la hausse des températures associée à l’augmentation de la durée des saisons sèches privent les arbres de l’eau dont ils ont besoin pour survivre. Les arbres meurent et, en se décomposant, libèrent tout le carbone qu’ils ont absorbé, ce qui amplifie en retour le phénomène. Le dérèglement climatique a des conséquences sur la pluviométrie : les pluies diluviennes se multiplient ces dernières années, provoquant des crues historiques. C’est une des difficultés que me rapportent mes interlocuteurs de l’ONF : ces crues rendent impraticables les ponts – pourtant construits pour résister aux crues centennales. C’est du jamais-vu. Déjà que les pistes en forêt manquent, cela constitue un obstacle supplémentaire au développement de la filière bois – un enjeu essentiel car, actuellement, la Guyane en importe. 





Catherine Latreille, directrice de l’ONF Guyane, m’apprend autre chose : en Guyane, terre recouverte à 95% par la forêt amazonienne, il n’existe pas de Brevet de technicien supérieur (BTS) forestier. Les recrutements pour la gestion forestière sont donc laborieux. L’interprofession souhaite que se tiennent des assises de la formation, afin de combler ces manques. 

Le soir même, les représentants des collectivités territoriales avec qui je m’entretiens m’expliquent que ce manque de formations se retrouve dans tous les domaines : “On manque de filières pour former des pêcheurs, des forestiers, des agriculteurs, mais aussi des profs, des médecins… C’est un grand défi quand on considère la jeunesse de la population guyanaise.” 


Ruée vers l’or 



La deuxième menace, plus immédiate, qui pèse sur la forêt guyanaise est l’orpaillage illégal. Entre janvier et juillet 2023, ce sont environ 7 tonnes d’or qui ont été extraites illégalement (les chiffres exacts sont impossibles à obtenir). 22 kilos de mercure et plus de 34 millions d’avoirs criminels ont été saisis. L’orpaillage illégal est responsable de la déforestation illégale de 600 à 700 hectares par an – 29 000 hectares détruits depuis 2003. 

En plus de son impact sur la forêt, l’orpaillage illégal a des conséquences sanitaires dramatiques : en 2019, plus de la moitié de la population du Haut-Maroni avait un taux de mercure dans le sang très largement supérieur au seuil à ne pas dépasser selon l’OMS – et cela inclut de nombreux enfants. 87% des femmes enceintes sont à risque d’accoucher d’enfants présentant des malformations. Début 2023, des équipes de WWF France ont mesuré la teneur en mercure de l’eau du Maroni : elle est presque 100 fois supérieure aux valeurs définissant une eau de bonne qualité. 





Conflits d’usage 



La gestion de la forêt soulève de nombreux points de tension avec les populations autochtones. Lors de notre échange, les représentants du Grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinengués m’expliquent leur rapport particulier à la forêt : “La forêt, c’est notre supermarché et notre pharmacie : c’est là qu’on se soigne et qu’on se nourrit. Si la forêt est en danger, nous sommes en danger.” Ils sont par ailleurs les premiers touchés par l’orpaillage clandestin et ses terribles conséquences sanitaires. 

Très vite, le yopoto (chef coutumier en kali’na, une des quarante langues parlées en Guyane) du village de Prospérité me parle de la Centrale électrique de l’Ouest guyanais, centrale solaire et hydrogène. Depuis 3 ans, il lutte aux côtés des habitants de son village pour s’opposer à la construction de cette centrale, qui doit entraîner la déforestation de 140 hectares, dans l’espace de vie des habitants de Prospérité. Pour mes interlocuteurs, ces décisions sont incompréhensibles, a fortiori parce que d’autres sites sont possibles pour l’installation d’une telle centrale (donc la Guyane a besoin – de nombreuses villes étant régulièrement privées d’électricité). 

Présentation par le yopoto du lieu prévu pour la CEOG, en plein cœur des terres coutumières


Ces tensions interviennent en outre dans un contexte de crispation sur la propriété foncière, que les chefs coutumiers me résument ainsi : “Nous sommes à l’étroit sur un territoire plus grand que le Portugal”. L’État possède la quasi-intégralité des terres. Pourtant, les Accords de Guyane conclus en 2017 prévoient la rétrocession de 400 000 hectares aux populations amérindiennes et bushinengués : si cette promesse n’a pas officiellement été abandonnée, 6 ans plus tard, les terres à rétrocéder n’ont toujours pas été localisées. 

Il est nécessaire de trouver des modes de gestion de la forêt guyanaise qui permettent le respect de la dignité et des droits des populations amérindiennes et bushinengués de Guyane. Les populations qui vivent dans la forêt, puisqu’elles sont directement impactées par la gestion forestière, doivent être associées à son élaboration. 

Pour cette raison, l’État doit ratifier la convention n°169 de l’Organisation internationale du travail, relative aux peuples indigènes et tribaux. Proposée en 1989, cette convention constitue un instrument juridique contraignant. Elle reconnaît la spécificité des peuples autochtones, s’assure qu’ils bénéficient des mêmes droits et possibilités que les autres membres de la population nationale. Elle stipule que les États ayant ratifié la convention sont dans l’obligation de consulter les peuples autochtones avant d’exploiter les sols qu’ils occupent traditionnellement, dans le cas où l’État aurait gardé la propriété des ressources. Cette deuxième proposition permettrait de mettre à l’abri le village de Prospérité. 

La réponse du gouvernement ? “La France n’envisage pas de ratifier la Convention n°169 de l’OIT car les notions de “peuples indigènes et tribaux” ou de “peuples autochtones” sont incompatibles avec la Constitution”. 

En mai 2023, Jean-François Carenco, alors Ministre des Outre-mer, déclarait ainsi à propos du chef coutumier du village de Prospérité : “Je n’admets pas que les règles de la République ne soient pas respectées par des gens qui n’ont aucun droit à s’exprimer”. Une énième manifestation de ce mépris et de ce manque de considération. 

Au-delà des populations autochtones, les conflits d’usage sont partout : la tension sur le foncier est permanente. Il y a un sentiment d’incompréhension chez beaucoup d’acteurs, pour qui la protection de la forêt semble aller à l’encontre du développement du territoire. Comment atteindre la souveraineté alimentaire sans terres cultivables ? Comment garantir à une population grandissante habitations, hôpitaux, écoles, lorsque 5% seulement du territoire est disponible ? Ces points de tension ont été soulevés par le député Jean-Victor Castor lors d’une question au gouvernement en juin, à l’occasion des débats sur la loi zéro artificialisation nette.



(Non)-relations internationales 



Cet été, un sommet de l’Amazonie était organisé par le Brésil avec les nations d’Amérique du Sud abritant la forêt amazonienne, dans le but d’œuvrer collectivement à sa préservation. Les objectifs de ce sommet étaient de trouver des solutions pour lutter efficacement contre la déforestation illégale, mieux contrôler l’extractivisme, et mieux protéger les peuples autochtones. Emmanuel Macron a été invité personnellement par Lula mais n’a pas daigné s’y rendre. Pire : les élus guyanais n’ont pas été informés de cette invitation. Qui a-t-il envoyé à sa place ? Pas le Ministre des Outre-mer, pas le président de la collectivité territoriale de Guyane, mais l’ambassadrice de la France au Brésil. Une preuve de plus de son mépris pour les Guyanaises et les Guyanais, ainsi que de son profond désintérêt pour la préservation de biodiversité amazonienne. 

Sommet de l’Amazonie, 8 août 2023



Il est à déplorer que le gouvernement ne se soit pas saisi de cette opportunité de se joindre aux dynamiques de coopération régionales d’Amérique du Sud. Les pays voisins de la Guyane pourraient devenir des points d’appui décisifs : exposés aux mêmes problématiques – préservation de la forêt, protection des peuples autochtones, conséquences du réchauffement climatique – ils ont tout intérêt à œuvrer de concert pour la défense des biens communs mondiaux. 





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