L’opération “larmes de crocodile” des grands patrons

Ce mercredi, Patrick Martin, président du Medef, dont la fortune personnelle est estimée à près de 300 millions d’euros, a annoncé l’organisation d’un « grand meeting patronal » le 13 octobre. Les grands patrons sont en colère. Ils en ont assez d’être stigmatisés pour les milliards qu’ils perçoivent en dividendes ou rachat d’actions sur le dos des Français et des services publics. Surtout, ils refusent catégoriquement de mettre la main à la poche et de débourser le moindre centime de plus pour financer l’éducation nationale, l’hôpital public, les aides aux personnes en situation de handicap, les traitements des malades du cancers ou les aides au logement pour les étudiants. Pour la solidarité nationale, ils passent leur tour.

Mais, quand il s’agit de toucher 211 milliards d’aides à travers 2000 dispositifs d’ exonérations et de subventions en tout genre chaque année grâce à nos impôts, ils sont toujours présents. Assez paradoxalement, au-delà de l’indécence et du culot de cette opération “larmes de crocodile”, cette annonce constitue un excellent point d’appui pour le mouvement septembriste et la mobilisation populaire en cours. Il est donc essentiel de comprendre de quoi cet appel du 13 octobre est vraiment le nom, et quels enseignements notre camp doit en tirer. 

Une annonce qui ne nous a pas fait tomber de nos chaises

Ce coup de gueule théâtralisé n’a rien de surprenant. 

D’abord, parce que les atermoiements des grands patrons interviennent à intervalles réguliers, surtout quand il est question de s’en prendre à leurs privilèges ou de donner des droits aux travailleurs. La croisade de Patrick Martin contre la “Zucmania”, c’est-à-dire contre une taxe de 2 % sur les patrimoines dépassant 100 millions d’euros, au-delà de son indécence, s’inscrit dans la droite lignée de l’agenda des possédants. Dès 1950, le Conseil national du patronat français (CNPF, ancêtre du Medef) s’opposait à la création du SMIG, précurseur du SMIC. En 1982, il défendait bec et ongles la baisse des cotisations patronales et combattait les 39 heures. Puis, en 1997, il menait une bataille acharnée contre les 35 heures. La constance de cette dynastie patronale à s’opposer aux intérêts du plus grand nombre repose sur des arguments immuables depuis 1950. Les salaires et réglementations sont repeints en “charges” qui seraient un frein à l’emploi, les impôts feraient fuir les investisseurs, et la compétitivité des entreprises serait menacée…En 1997, le président du CNPF déclarait à propos des 35 heures : « Nous sommes certains que cette mesure est mauvaise pour les entreprises. » Pourtant, avec 300 000 emplois créés, ce fut l’une des mesures les plus efficaces en la matière. Vingt-huit ans plus tard, le président du Medef accusait la taxe Zucman d’être « un frein terrible à l’investissement et à la prise de risque pour les entreprises ». Rien de nouveau sous le soleil, donc.

Ensuite, parce qu’il s’inscrit dans un calendrier bien précis : depuis le 10 septembre, la riposte populaire s’organise et le peuple se met en mouvement. Parmi les mots d’ordre du mouvement septembriste, la justice fiscale occupe une place centrale. Les Français en ont assez que quelques-uns s’accaparent la richesse produite par les travailleurs et les travailleuses. Ils en ont assez que les ultra-riches paient deux fois moins d’impôts sur leurs revenus que la majorité du peuple. Les privilèges fiscaux de quelques héritiers sont plus que jamais dans le viseur. D’où le soutien massif à la taxe Zucman, devenue la nouvelle bête noire du patronat : près de 9 Français sur 10 y sont favorables. L’annonce du meeting du Medef du 13 octobre, un mois après le début du mouvement septembriste, n’est pas anodine. Cette date matérialise le clivage vertical entre le peuple et l’oligarchie, clivage qui, dans cette période de dégagisme, représente un appui précieux pour la mobilisation. Face à l’opposition de la majorité de Français au rouleau compresseur néolibéral, le syndicat du CAC40 se « mobilise ». Pourquoi ? Parce que la riposte populaire commence sérieusement à inquiéter les élites économiques de ce pays. Le rapport de force économique fonctionne. 

Quand les ultra-riches se cachent derrière le “patronat”

J’en reviens au baratin de Patrick Martin, qui, lors de l’annonce en grande pompe de son meeting du 13 octobre, s’est empressé de souligner la présence d’un « très grand nombre d’organisations patronales ». Une affirmation rapidement démentie par plusieurs d’entre elles. Michel Picon, président de l’Union des entreprises de proximité (U2P), qui représente artisans, commerçants et professions libérales, a même qualifié cette initiative « d’erreur magistrale ». On le comprend : le Medef n’a jamais levé le petit doigt pour soutenir les boulangers, les petits entrepreneurs ou les commerçants, dont beaucoup ont dû fermer boutique après la crise inflationniste déclenchée par la guerre en Ukraine. Patrick Martin ne s’est pas non plus ému des 66 000 faillites d’entreprises enregistrées en 2024. Lors de la hausse de taxe sur l’électricité, c’est la France insoumise et non le Medef qui s’était mobilisé auprès des commerçants.

Rien d’étonnant : le Medef ne défend que les intérêts d’une infime minorité du patronat, celle que Macron, avec le soutien tacite de Marine Le Pen, défend sans relâche depuis huit ans. En effet, depuis l’arrivée de l’apprenti banquier à l’Élysée, ce sont 207 milliards d’euros de cadeaux fiscaux qui ont été distribués aux grandes entreprises et aux plus fortunés. Et parmi les 211 milliards d’aides aux entreprises, la majorité profite aux grands groupes… et donc aux grands patrons. De même, la taxe Zucman ne concerne qu’une infime minorité : environ 1 800 ultra-riches possédant un patrimoine supérieur à 100 millions d’euros. Il va de soi que la grande majorité des patrons ne sont pas millionnaires et ne sont donc absolument pas concernés par cette mesure. 

Le 13 octobre n’est pas une mobilisation des entrepreneurs, encore moins du patronat dans son ensemble : c’est la mobilisation de ceux qui se gavent pendant que les autres peinent à joindre les deux bouts. C’est un atout majeur pour la riposte populaire en cours. D’abord, parce qu’il n’existe aucune unité patronale, contrairement à l’unité populaire qui se construit dans la rue en rassemblant toutes les forces vives du pays. C’est un avantage immense pour imposer un rapport de force favorable au peuple, unissant salariés, chômeurs, indépendants, patrons de petites et moyennes entreprises, etc. Ensuite, parce que l’indécence de l’indignation hors-sol des grands patrons ne peut que nourrir la colère populaire. Un Français sur cinq déclare ne pas parvenir à subvenir aux besoins essentiels de ses enfants : bon nombre d’entre eux sont des indépendants, agriculteurs ou patrons de petites boîtes. Mais le nombre de milliardaires ne cesse de croître, en même temps que celui des plus pauvres. La caste oligarchique ferait mieux de se taire : Patrick Martin préfère jeter de l’huile sur le feu. 

Une victoire idéologique pour notre camp

Enfin, et c’est peut-être l’un des signaux les plus révélateurs de l’annonce de Patrick Martin, cette agitation des grands patrons constitue en soi une victoire idéologique pour notre camp. En effet, il  a précisé que l’un de ses objectifs était de permettre à ses troupes de « dire positivement ce que nous sommes et ce que nous sommes fiers d’être ». Cette déclaration en dit long : les grands patrons se sentent désormais contraints de justifier leur utilité, de prouver qu’ils ne sont pas simplement là pour s’accaparer la richesse produite par les travailleurs. C’est une balise précieuse : voilà que nous sommes majoritaires à dire qu’ils ne sont plus perçus comme essentiels, mais bien comme ceux qui se gavent sur notre dos. Le partage des richesses a le vent en poupe : 6 Français sur 10 jugent que les riches ne sont pas assez taxés ! L’insurrection populaire dégagiste prend de l’ampleur se propage de la monarchie présidentielle à la dynastie patronale. Le peuple français n’aime pas les privilèges, tôt ou tard, ils seront abolis.

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