Aujourd’hui est le premier jour d’un déplacement d’une semaine, que j’effectue en Guyane dans le cadre d’une mission parlementaire de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, dont je suis membre. Tout au long de cette semaine, je vous raconterai dans une série de notes de blog mes journées, mes rencontres avec les acteurs locaux, et les problématiques auxquelles font face les Guyanaises et les Guyanais.
J’arrive ici avec beaucoup d’humilité : c’est la première fois que j’y pose le pied. Aussi, je n’aurai pas la prétention de connaître la Guyane après une semaine. Je sais qu’il s’agit d’un territoire multiple, complexe, qui ne se laisse pas facilement appréhender. Je vous propose simplement de le découvrir avec moi.
Aujourd’hui, j’ai rencontré des représentants de l’Union des travailleurs guyanais (UTG) et j’ai assisté au meeting des deux députés de Guyane, Jean-Victor Castor et Davy Rimane, à Cayenne. On a parlé de la crise sociale extrême dans laquelle le territoire s’enfonce, et des relations entre la Guyane et l’Hexagone.
Urgence partout, État nulle part
En Guyane, c’est l’extrême urgence dans tous les domaines. Urgence sociale, sanitaire, environnementale… Trop souvent perçues depuis l’Hexagone avec indifférence, les problématiques qui la touchent condensent, sur tous les plans, les difficultés qui progressent dans le reste du pays : vie chère, paupérisation, crise de l’eau, crise du logement, pollution, revendications citoyennes pour l’égalité.
« La fusée décolle, la Guyane reste au sol », m’ont résumé les syndicalistes que j’ai rencontrés. Les exemples sont légion, je vous donne quelques chiffres. 22% de la population est au chômage, un chiffre qui monte à 46% chez les moins de 25 ans, alors que la population guyanaise est très jeune – 41% des habitants ont moins de 20 ans. Ils m’ont d’ailleurs confié que la situation empirait, avec des licenciements dans tous les secteurs.
53% de la population guyanaise vit sous le seuil de pauvreté, contre 14% dans l’Hexagone, et ce alors même que le seuil de pauvreté est de 420 euros par mois en Guyane contre 1100 euros par mois en France hexagonale. Le niveau de vie des plus pauvres en Guyane est deux fois plus faible que celui des plus pauvres de l’Hexagone.
En termes de conséquence sur la vie quotidienne, cela donne entre 13 et 20% de la population sans électricité, et un habitant sur cinq sans accès à l’eau.
Au siège de l’UTG, on m’a raconté la mortalité infantile élevée et les décès faute de soins : des calamités que l’on commence à voir apparaître aussi dans l’Hexagone.
Pour tous, la vie est terriblement chère : les prix des produits alimentaires sont de 12 à 45% plus élevés qu’en France hexagonale. Et encore, c’est sur le littoral ! Lors de mon entretien à l’UTG, on m’a donné quelques chiffres : une bonbonne de gaz à 20 euros atteint les 50 ou 60 dans la commune enclavée de Maripasoula, quand une bouteille d’eau vendue 2 euros à Cayenne en vaut 6 là-bas, pour le paquet de lessive c’est 30 euros dans les communes du fleuve, contre 6 euros à Cayenne.
Cette situation est insoutenable. Déjà en 2008, le mouvement de lutte contre la vie chère en Guyane tirait la sonnette d’alarme. Que s’est-il passé depuis ? Rien, ou presque rien. On s’en rendait compte lors du meeting : cela crée chez toutes et tous beaucoup de colère.
Mépris et violence
Face à l’indifférence, les mouvements de révolte se sont succédé ces dernières années. Les Guyanaises et Guyanais n’ont eu de cesse de dénoncer leurs conditions de vie, qui nourrissent un sentiment d’abandon par la République. Macron n’a rien réglé : ses réponses ont été le mépris et la violence.
En 2017, après plusieurs mois de blocage et de manifestations, et des marches d’une ampleur historique à Cayenne et Saint-Laurent, quatre syndicalistes de l’Union des travailleurs guyanais ont été condamnés à dix-huit mois de prison ferme. Pour apaiser les révoltes, le gouvernement a finalement proposé un « plan d’urgence » encore largement insuffisant. Pire, selon les syndicalistes de l’UTG, l’État n’a pas respecté ses engagements d’alors. Six ans après les Accords de Guyane signés en 2017 et les États généraux de la Guyane organisés en 2018, rien n’a changé. Les revendications d’égalité et la volonté des Guyanais de prendre en main leur destin s’exprimaient pourtant clairement.
Le même mépris et la même violence caractérisent la gestion par le gouvernement de la crise du logement. En Guyane, un tiers des logements sont sur-occupés (soit quatre fois plus que dans l’Hexagone). 47% des logements présentent au moins un défaut grave, et sont donc potentiellement insalubres. Le manque de logements, et l’impossibilité pour de nombreuses familles d’accéder au parc social favorise l’émergence de quartiers précaires informels. Depuis 20 ans, le logement illégal croît plus rapidement que le logement légal.
Face à cette détresse, l’État macroniste répond encore par la violence. Depuis 2019, une quinzaine d’opérations d’évacuation et de démolition de quartiers précaires se sont succédé, sans qu’elles ne soient accompagnées de solutions de relogement. 5 000 personnes ont ainsi été déplacées, parmi lesquelles un grand nombre de mineurs. Comme pour l’opération Wuambushu à Mayotte, cette situation qui sur-précarise les plus fragiles découle d’une volonté de l’État « d’envoyer un signal à celles et ceux qui cherchent à s’installer en Guyane », selon l’aveu de l’ancien préfet Marc Del Grande. Ces atrocités sont permises par la loi « Elan » votée en 2018 par la macronie et qui a institué, pour Mayotte et pour la Guyane, la possibilité pour les préfectures de démolir des logements sans avoir à obtenir l’accord d’un juge.
Il est grand temps d’en finir avec l’abandon social insupportable des Françaises et des Français de Guyane. La vie chère, le chômage, mais aussi les ruptures d’accès aux services essentiels que sont la santé, l’éducation, les transports ou l’eau, ne peuvent plus et ne doivent plus être tolérés. Les Guyanaises et les Guyanais ont une conscience aiguë de ces problématiques, et des plans pour y faire face. Il s’agit désormais de leur donner les moyens de l’égalité et de l’autonomie.