« Nous devons quitter l’OTAN ! » Interview pour la presse allemande.

Dans le cadre de ma tournée européenne contre l’extrême droite, j’étais le 16 avril à Berlin. Interview pour le Berliner Zeitung.

En Allemagne, on parle peu en ce moment de la situation politique intérieure en France. Quelle est la situation ?
Le gouvernement est très affaibli. Le Premier ministre François Bayrou est actuellement impliqué dans un scandale lié à des abus sexuels : il aurait, en tant que ministre de l’Éducation dans les années 1990, fermé les yeux sur des cas de maltraitance d’enfants dans l’internat catholique Notre-Dame de Bétharram. Bayrou doit désormais répondre de ces faits devant une commission parlementaire. C’est sa survie politique qui est en jeu. À cela s’ajoute la situation économique de la France, qui est catastrophique. Le budget a déjà été réduit de 50 milliards d’euros cette année, et 40 milliards d’euros supplémentaires doivent être économisés l’année prochaine. Ce sont surtout les dépenses sociales qui sont touchées, avec des conséquences dramatiques, notamment dans le domaine de l’éducation. Enfin, la situation parlementaire n’a pas changé : le gouvernement n’a toujours pas de majorité.

Mais y a-t-il eu un changement de cap avec le nouveau gouvernement ?
Non, car en réalité, tout est décidé par Macron, peu importe le nom du Premier ministre. Macron a choisi d’ignorer le résultat des élections et de ne pas confier la formation du gouvernement à la coalition victorieuse, le Nouveau Front Populaire. Il a préféré continuer la même politique de droite.

Si le gouvernement actuel est identique au précédent, pourquoi n’a-t-il pas été renversé ?
Ce gouvernement n’a pas été renversé uniquement parce qu’il est toléré par l’extrême droite, qui doit gérer d’autres problèmes après la condamnation de Marine Le Pen. Mais même les sociaux-démocrates n’ont pas voté en faveur de notre motion de censure.

Pourquoi ?
Pour moi, c’est incompréhensible de retirer la confiance à Barnier pour son projet de budget, puis, quelques semaines plus tard, de laisser passer Bayrou alors qu’il présente exactement le même budget. Les sociaux-démocrates affirment avoir obtenu des concessions. Mais ce que l’on constate aujourd’hui, c’est que cela a été une immense tromperie. Bien sûr que le gouvernement ne va pas revenir sur la réforme des retraites, contrairement à ce que les sociaux-démocrates espéraient.

Le plus grave, c’est que nous vivons une période de paralysie gouvernementale alors que tant de choses urgentes doivent être faites, notamment en matière de climat. Nous fonçons vers une catastrophe climatique sans y être préparés. Et la seule perspective politique que le gouvernement nous offre, c’est la guerre. C’est un paradoxe : le gouvernement est faible, sans soutien populaire ni parlementaire, mais Macron se met en scène en grand chef de guerre.

Dans ce contexte, comment évaluez-vous l’état de la démocratie française ?
Je pense que nous vivons une époque où la Cinquième République montre ses limites. La Constitution de 1958 a été écrite pour une époque et une situation politique totalement différentes de celles d’aujourd’hui. À l’époque, deux grands partis se partageaient le pouvoir depuis des décennies. C’est fini. Aujourd’hui, plusieurs blocs s’opposent : le bloc d’extrême droite et le bloc de gauche radicale sont les plus puissants. Mais la Constitution permet d’exclure les deux du pouvoir, et cela est antidémocratique.

Je suis députée depuis trois ans et je n’ai encore jamais voté un budget. C’est totalement absurde quand on pense à ce que signifient les élections et la représentation démocratique. Quand le gouvernement impose des lois contre la volonté du Parlement en recourant à l’article 49.3, c’est le devoir des parlementaires de le renverser. Jusqu’à présent, Bayrou a réussi à y échapper.

Marine Le Pen a récemment été condamnée pour détournement de fonds européens et ne peut pas se présenter à une élection pendant cinq ans. Pensez-vous que c’est une décision antidémocratique ?
Non, je ne dirais pas cela. L’extrême droite parle de déni de justice et se présente massivement en victime. Mais ce n’est pas une affaire mineure. Elle concerne non seulement Le Pen, mais aussi plusieurs dizaines de députés européens et assistants parlementaires de son parti. Il s’agit d’une fraude massive portant sur plus de quatre millions d’euros de fonds publics, impliquant des emplois fictifs. Le jugement a révélé ces abus.

Cela dit, nous pensons qu’un droit d’appel doit exister et que la voie judiciaire doit être entièrement suivie. Pour nous, le combat contre Le Pen doit se mener sur le terrain des idées et dans les urnes.

L’UE connaît actuellement une course effrénée à l’armement, et la France en est l’un des moteurs. Votre parti, La France insoumise, plaide depuis longtemps pour une rupture avec les États-Unis. N’est-ce pas justement ce qui est en train de se produire ?
Effectivement, cela fait des années que nous dénonçons le lien trop étroit avec les États-Unis via l’OTAN. Dans cette alliance militaire, les peuples européens ne peuvent pas décider souverainement de leur sécurité. Nous demandons une position de non-alignement. Les développements actuels avec Trump ont au moins le mérite de réveiller certains de leur naïveté. Le problème, c’est que Macron et ses alliés sont néolibéraux et incapables de penser le monde autrement. Cette situation mène certes à plus de réalisme géopolitique, mais pas à de bonnes solutions.

Alors que les grandes puissances se livrent à une surenchère de discours impérialistes sur la guerre, la petite Europe dit maintenant : « Nous entrons dans la course, nous réarmons. » Mais nous sommes extrêmement dépendants de l’industrie de l’armement américaine – 60 % de nos importations d’armes viennent des États-Unis. Les 800 milliards annoncés pour l’armement profiteront donc surtout à l’économie américaine. D’autant plus que Scholz a retiré l’Allemagne de la plupart des projets d’armement franco-allemands.
Par ailleurs, nous avons des priorités bien plus urgentes que de faire la guerre, comme la lutte contre la crise climatique.

Concrètement, cela signifie : sortir de l’OTAN et développer des coopérations alternatives avec les pays du Sud global. Il faut rompre avec la logique des blocs et celle de la guerre qui l’accompagne.

Qu’est-ce que cela implique pour le conflit commercial ? L’Europe doit-elle répondre à Trump par des droits de douane symétriques, ou serait-ce aussi une logique guerrière ?
Dans le débat sur la guerre commerciale, on nous propose toujours deux options : le libre-échange ou des contre-mesures douanières symétriques en réponse à Trump. Les deux sont absurdes et vouées à l’échec.

Le libre-échange a des conséquences sociales et écologiques désastreuses. On l’a vu clairement en France ces dernières décennies : nous ne pouvons pas concurrencer des pays sans droits du travail, avec des salaires très bas et aucune norme environnementale. Mais imposer maintenant des droits de douane symétriques serait une guerre économique que nous perdrions, et cela déclencherait une spirale inflationniste que la population paierait au final.

Et quelle serait la bonne réponse ?
Il existe une troisième voie : celle d’un protectionnisme solidaire et écologique. Nous devons nous protéger contre les effets nocifs du libre-échange. Cela signifie : relancer notre industrie et conclure des accords bilatéraux avec des partenaires choisis. Il faut sortir des anciennes recettes – libre-échange ou guerre commerciale – qui ont atteint leurs limites, comme le montrent clairement les développements actuels.

Vous dites que l’Europe a mieux à faire que de s’armer. Que répondez-vous aux experts en sécurité qui mettent en garde contre la menace russe ?
Je réponds que la doctrine de défense française repose sur la dissuasion nucléaire. C’est unique en Europe et dans le monde. Nous possédons un peu plus de 200 têtes nucléaires, la Russie en a plus de 6 000. Nous ne voulons pas de guerre avec la Russie. Nous ne voulons pas de guerre avec une puissance nucléaire capable de détruire la Terre plusieurs fois. Cette logique de guerre froide est dépassée. Il faut respecter les autres puissances et investir dans la diplomatie.

Mais la Russie mène une guerre contre l’Ukraine depuis trois ans. Comment mettre fin à ce conflit ?
Il faut d’abord écouter les différents acteurs. Zelensky lui-même demande aujourd’hui un cessez-le-feu. Et après des centaines de milliers de morts et de blessés, celui-ci est plus que nécessaire. On oublie trop souvent, dans les débats, qu’une guerre concerne des vies humaines. C’est ce qui compte le plus pour nous : c’est pourquoi nous réclamons, depuis le début du conflit, le silence des armes.

Ensuite, il faut un cadre de négociation qui inclut l’Ukraine. Là, la diplomatie française et européenne a échoué : elle n’a pas réussi à rassembler toutes les parties autour d’une table. Trump a humilié Zelensky dans le Bureau ovale et a ensuite négocié sans lui. On ne peut pas continuer ainsi. Il faut un cadre incluant l’Ukraine, les partenaires européens et la Russie pour négocier des garanties de sécurité réciproques. Un cessez-le-feu doit s’accompagner d’une aide immédiate à la reconstruction, mais notre objectif est une paix durable.
Nous proposons les choses suivantes : des référendums d’autodétermination dans les régions disputées comme la Crimée et le Donbass, et le déploiement de Casques bleus de l’ONU pour sécuriser les zones historiquement conflictuelles. Nous pensons aussi que l’expansion de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie est inacceptable pour Moscou. Les deux parties ont besoin de garanties pour détendre durablement la situation.

Macron propose d’envoyer des troupes françaises en Ukraine comme garantie de sécurité. Qu’en pensez-vous ?
Macron a proposé tant de choses ces dernières années – d’abord des troupes de guerre, maintenant des troupes de paix. Nous rejetons ses propositions. De telles décisions relèvent des institutions internationales, qu’il faut renforcer. Pour les questions frontalières, le cadre approprié est l’OSCE ; pour les troupes de paix, c’est l’ONU avec ses Casques bleus.

Macron cherche à s’imposer sur la scène internationale via la guerre en Ukraine. Ne redonne-t-il pas ainsi une voix forte à la France ?
Non, son attitude est catastrophique. Il a humilié la France sur la scène internationale – non seulement sur la question ukrainienne, mais aussi à Gaza. Sur l’Ukraine, il est difficile de suivre sa ligne : un jour, il veut envoyer des troupes, le lendemain il se ravise. Il fait beaucoup de bruit, mais il n’en sort rien. Lors des négociations importantes, la France n’était même pas présente. Elle est perçue comme un acteur marginal – et je pense que cela tient beaucoup au style de Macron : beaucoup de bruit pour rien.

Quel regard portez-vous sur l’Allemagne et son nouveau gouvernement ?
Je regarde avec inquiétude la montée de l’extrême droite en Allemagne. Et je crois que ce bloc centriste, formé par la CDU et le SPD, ne fera qu’aggraver la frustration des citoyens et renforcer l’AfD. Le fait que Die Linke ait obtenu un meilleur résultat que prévu aux législatives est une bonne nouvelle. Ce dont on a besoin, c’est d’une véritable alternative de gauche, radicale.

Pendant des années, l’Allemagne a été la force dominante de l’UE, ce que votre parti a souvent critiqué. Aujourd’hui, elle est redevenue le « grand malade » de l’Europe, sa croissance est en crise. Cela vous fait-il sourire ?
Non, nous ne sommes pas en compétition avec l’Allemagne. Mais ce que montre l’exemple allemand, ce sont les conséquences dévastatrices d’une politique néolibérale. L’Allemagne est donc, d’une certaine manière, un avertissement pour les autres pays.

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