Organiser la gauche de rupture : La France Insoumise et le cycle des luttes en France.

Cet entretien, réalisé aux côtés d’Antoine Salles Papou, a été donné pour la revue italienne Teiko. À retrouver en italien en intégralité sur leur site internet.

Merci d’avoir accepté de participer à cette conversation, consacrée au problème — ou plutôt à l’énigme — de l’organisation politique des forces sociales qui luttent pour une transformation radicale de l’existant. Nous l’abordons avec vous à partir de l’expérience, exceptionnelle à bien des égards, de La France Insoumise. Commençons par un retour en arrière pour resituer cette expérience dans son contexte historique. Dans quel cadre social et politique LFI est-elle née ? Quels étaient les enjeux majeurs de sa création, et en quoi cette conjoncture a-t-elle influencé la structuration et l’idéologie du mouvement ?

La France insoumise a été créée en février 2016, au départ comme une proposition électorale, autour d’une candidature pour l’élection présidentielle : celle de Jean-Luc Mélenchon. La forme précise qu’allait prendre le mouvement n’était pas encore fixée à ce moment-là. Le contexte français, européen et mondial aide à comprendre, à posteriori, pourquoi cette initiative a été une réussite. Elle est apparue, à la croisée de plusieurs cycles politiques et sociaux plus ou moins longs, comme un moyen pour débloquer la situation, défaire les nœuds qui s’étaient formés et passer à une étape suivante. 

Quels sont ces cycles ? D’abord, il y a un cycle long du mouvement social français de résistance aux réformes néolibérales. On peut, pour simplifier, le faire commencer avec les grandes grèves victorieuses de l’hiver 1995 contre le plan Juppé. La majorité de gauche plurielle (PS/PCF/Verts), même si elle a mené des privatisations et d’autres réformes néolibérales, est quand même assez singulière dans le paysage de la sociale-démocratie européenne. D’abord c’est une alliance du Parti socialiste vers la gauche, et non vers le centre. Ensuite, le mouvement ouvrier y a quand même obtenu une réduction du temps de travail, un fait unique en Europe à cette période. 

Ensuite, dans les années 2000, il y a un nombre impressionnant de mobilisations contre les réformes néolibérales, avec des grèves, des occupations d’universités, des manifestations très massives. En 2003, contre la réforme des retraites Fillon, avec une grève très suivie dans l’éducation nationale, en 2006, contre le “Contrat Première Embauche”, finalement retiré par le gouvernement Villepin, ou encore en 2010 contre la réforme des retraites de Sarkozy, avec 3,5 millions de travailleurs et étudiants mobilisés au pic des manifestations selon les syndicats. Et, on ne cite ici que les plus importantes mobilisations, mais d’autres ont existé, contre l’autonomie financière des universités, contre des réformes de l’éducation nationale, etc. Et même si beaucoup de ces mouvements sociaux ont été défaits, la victoire arrivait à intervalles suffisamment réguliers pour qu’elle constitue un horizon crédible : 1995 (réforme Juppé), 2006 (CPE), 2008 (réforme Darcos du lycée) par exemple. 

Tout cela pour dire que le cycle long de mobilisations forme à ce moment-là une singularité française dans l’espace européen et occidental : une combativité très grande, une résistance et une expérience critique du néolibéralisme. D’où aussi le fait que le néolibéralisme avait une hégémonie faible en France, au sens où les groupes populaires sont, grâce à cette histoire, restés en dehors d’une adhésion même passive, et toujours disponibles à une critique active à son égard. Mais en même temps, sur toute cette période des années 1990 et 2000, il n’y a pas de coagulation du niveau politique de cette contestation sociale. La gauche hors PS reste à des niveaux élevés pour les standards européens (deux candidats trotskystes atteignent 10% des voix en 2002 en additionnant leurs scores). Mais il n’y a pas de pôle attractif capable de transformer la dynamique de résistance sociale en dynamique politique. 

Le deuxième cycle important dans lequel se comprend la réussite de la proposition insoumise concerne plus spécifiquement le niveau politique, même s’il ne peut s’analyser qu’en lien avec ce que l’on vient de décrire sur le mouvement social. Son point de départ est le référendum sur la Constitution européenne de 2005. Cet événement a servi de déclencheur et d’accélérateur à la désagrégation des grands blocs sociopolitiques, à gauche et à droite. Depuis les années 1980, ces deux blocs géraient des contradictions entre différentes fractions, dont certaines hostiles à la réforme néolibérale du capitalisme français, et d’autres favorables. Or, dans la campagne de 2005, on a vu ces deux grands blocs se désagréger, et plus encore la partie pro européenne des deux blocs faire campagne ensemble. L’image la plus symbolique de cette période étant la une du magazine people Paris Match, où les deux futurs Présidents de la République, Nicolas Sarkozy et François Hollande, posent côte à côte pour appeler à voter “oui”. Les deux seront ensuite les agents d’un alignement du centre droit français, sur le néoconservatisme et du centre gauche sur la “troisième voie” à la Clinton-Blair. Ces camps ont perdu leur spécificité proprement française. Sauf que cette spécificité n’était pas une coquetterie, mais liée au fait que la greffe néolibérale n’a jamais très bien pris en France. L’alignement des deux grands partis français vers une sorte de proto bloc bourgeois va donc provoquer un grand bouleversement. Des blocs sociaux vont se retrouver orphelins, voire en colère contre leurs anciens représentants. Quand d’autres vont se retrouver de plus en plus proches. Tout cela va mener à l’effondrement total du champ politique de l’ancien monde à l’occasion de la campagne de 2017. Ce qui signifie que le moment était mûr pour des propositions de réorganisation de l’espace de la politique. Avec du recul, c’est pour cela qu’à l’époque on parlait de “moment populiste”. Il correspondait à un moment d’effondrement des anciennes identifications politiques et donc de grande fluidité, de disposition favorable à des nouveaux agencements. 

Enfin, vous vous en souvenez peut-être, la création de la France insoumise est presque exactement concomitante au début du mouvement social contre la loi travail. C’est-à-dire en réalité à une reprise du mouvement social après 4 ans, depuis l’élection de Hollande en 2012, de quasi silence sur ce front. On peut le voir sous la forme d’une reprise, après une pause, du cycle français ouvert en 1995 que l’on vient de décrire ou bien comme l’entrée, en décalage, de la nouvelle génération française dans un mouvement mondial d’effondrement de l’hégémonie du néolibéralisme. Si on se souvient du mouvement de 2016, on voit bien les influences des autres mouvements sociaux post crise de 2008, notamment en Europe du Sud et en Amérique du Nord. La modalité d’occupation des places, connue en France sous la forme de “nuit debout”, est évidente de ce point de vue là. Mais dans les contenus, on a vu à partir de ce mouvement là que la critique du néolibéralisme prenait un tour plus radical, avec une forte percolation des sujets démocratiques, et même à cette date, des sujets féministes et antiracistes. Si la proposition insoumise a pu décoller en 2016/2017, c’est parce qu’elle était un outil approprié pour permettre à ces cycles historiques de continuer, de passer aux étapes suivantes. Elle s’appuyait sur une figure connue, charismatique, avec le capital médiatique nécessaire pour réaliser la coagulation politique du mouvement de fond anti-néolibéral français. Elle a inventé un nouveau langage symbolique, à distance des anciennes identifications politiques et développé une stratégie discursive populiste ce qui lui a permis de s’engouffrer dans le vide créé par la crise des anciens blocs. Enfin, son programme, ses thèmes, les revendications mises en avant étaient en cohérence avec le début de la phase de la crise d’hégémonie du néolibéralisme, qui commençait en 2016 en France, avec le mouvement contre la loi travail.

Depuis sa fondation, LFI a évolué rapidement, jusqu’à devenir, au moment de la constitution du Nouveau Front Populaire en 2022 puis en 2024, la force hégémonique de la gauche française. Quelle est aujourd’hui sa structure organisationnelle ?

La première chose à dire est que La France insoumise est, depuis sa naissance, toujours en construction, en constante évolution. Sa structure de base, qui existe depuis 2016, est le groupe d’action (GA). Les règles de fonctionnement des groupes d’action sont faites de manière à permettre une très grande souplesse dans l’organisation, à épouser des formes d’engagements à plusieurs vitesses et changeant au cours du temps, à épouser les vagues et les ressac des grands cycles sociaux et politiques. Tout le monde peut créer ou rejoindre un groupe d’action. Il n’y a pas de cotisation, d’adhésion formelle et officielle. Il suffit pour cela de rejoindre le réseau social Action Populaire, qui permet rapidement et facilement de savoir quels GA existent autour de soi. Aucun GA n’a de monopole territorial. Ce qui signifie que n’importe qui peut créer son propre groupe, même si un groupe existe déjà dans la même ville, le même quartier, voire la même rue ! Ces dispositions ont pour objectif d’abaisser au maximum les barrières matérielles et symboliques au militantisme politique. Le but est d’avoir une structure poreuse avec la société, et d’établir plutôt un continuum entre la conviction personnelle, la participation ponctuelle à une action, l’identification à un mouvement social, le militantisme d’entourage et l’appartenance à un GA. Un autre objectif est d’avoir le plus de groupes possibles, qui investissent le social à un niveau micro. Il nous semble que la meilleure manière d’atteindre un tel déploiement moléculaire, ce n’est pas d’avoir un plan de maillage serré imaginé centralement et imposé ensuite au territoire. Laisser la liberté totale pour créer des GA permet que leur structure se calque sur des structures sociales réellement existantes : un groupe d’amis, un groupe de voisins, de parents d’élèves d’une même école, un quartier, etc. C’est plus efficace que si simplement on découpait une carte par zone. Bien sûr une conséquence de cette organisation peut être que certains groupes sont dans les faits “dormants”. C’est même fait pour que cela soit possible, mais cela peut créer des problèmes au moment où une personne cherche à rejoindre un GA de la FI. C’est pourquoi nous avons ajouté une procédure de “certification” des groupes. Les groupes certifiés sont ceux qui ont enregistré deux actions au moins sur Action Populaire dans les deux derniers mois et qui ont un binôme paritaire d’animateurices. Cela permet de distinguer les GA actifs en ce moment des autres. 

Mais les GA ne sont qu’une facette de la France insoumise. Le mouvement se veut protéiforme. Il applique une sorte de confédéralisme. Nous avons au sein de la France insoumise différents “espaces”. Chaque espace fonctionne de manière semi-autonome, et selon sa logique propre. Il y a un espace des GA. Il y a aussi un “espace programme”, qui réunit l’ensemble du travail programmatique, et notamment une cinquantaine de “groupes thématiques”, qui sont des militants qui ont une expertise particulière sur tel ou tel sujet et veulent la mettre à profit. Ces groupes rédigent les “livrets thématiques” du programme, travaillent lors des différentes phases d’actualisation du programme, auditionnent des associations, des collectifs, assurent le lien du mouvement avec eux, etc. Il y a aussi une espace appelé “batailles de la société”, qui est l’espace des luttes. Il est composé de syndicalistes, d’activistes écologistes, antiracistes ou de l’auto-organisation urbaine qui, comme militantisme insoumis, s’assurent de faire le pont entre notre mouvement et le monde des luttes, d’y garantir notre présence, de faire remonter leurs besoins et ainsi de suite. L’Institut La Boétie, où des universitaires choisissent de militer par la mise à disposition gratuite de travail intellectuel, est aussi considéré comme un espace. 

Vous le voyez à travers ces exemples, chaque espace répond à une logique, un type de militantisme différent et qui lui est propre. Le militantisme insoumis n’a pas une seule forme. Il peut en prendre plusieurs. C’est pourquoi, quand il s’est agi de mettre en place un espace de direction identifié pour le mouvement, nous avons voulu qu’il représente cet aspect confédéral, et c’est donc la coordination des espaces, une instance où chaque “espace” reconnu de la France insoumise est représenté et qui se réunit une fois par semaine pour discuter des sujets de court terme sur lesquels la France insoumise doit se positionner comme mouvement. Pour les sujets de moyen terme, l’instance est l’Assemblée représentative, qui se réunit deux fois par an, avec des représentants par département tirés au sort et des représentants désignés par les espaces. C’est elle qui adopte les orientations stratégiques pour les élections prévisibles par exemple. Voici en gros le fonctionnement basique de la France insoumise. Il y a d’autres éléments de complexification comme par exemple les “boucles départementales”. C’est une nouveauté qui correspond à l’introduction d’éléments de solidification à l’intérieur d’un mouvement qui reste par nature très souple et parfois volatile. Cet échelon de coordination départemental, avec ses référents en charge de tâches particulières (réception du matériel, SO, etc) forme une sorte d’ossature au milieu gazeux. S’y ajoutent des cadres temporaires liés aux nécessaires discussions en vue des échéances électorales. En ce moment, les insoumis élaborent ainsi leurs stratégies et programmes pour les élections municipales de l’année prochaines dans des assemblées à cette échelle.

Comment articuler le moment de la « décision politique » — que l’on pourrait qualifier de verticalité discursive incarnée par le leader et son noyau dirigeant — et l’horizontalité démocratique du mouvement, portée par une multitude d’assemblées locales et de groupes d’action s’auto-organisant via le réseau numérique « Action Populaire » ?

Il y a une question de gestion de temporalités différentes. En politique, il n’y a pas de séparation entre un moment où l’on décide des positions, des stratégies, des tactiques et ensuite un second moment où on les applique à des situations concrètes. Dans la réalité, c’est plutôt impossible de distinguer les deux. Les décisions à prendre surgissent en fonction des situations. Aucune situation concrète ne correspond à l’application pure et parfaite du cadre théorique tranché en amont. Et un bon cadre théorique, bien sûr, évolue avec les situations concrètes. 

Ensuite, le rythme général dans lequel fonctionne la société est plus rapide aujourd’hui que par le passé. Cela paraît une banalité mais c’est une réalité essentielle de notre temps, qui tient son origine de l’explosion du nombre des êtres humains, de leur densité urbaine, de la vitesse de déplacement, de la vitesse de transmission des informations, et de l’accélération du cycle du profit lui-même. Donc il faut prendre les décisions plus vite que dans les années 1960 pour être dans le rythme social approprié. Même si l’image que vous évoquez du leader qui prend la décision seule est réductrice, il est vrai qu’il y a dans le fonctionnement de la France insoumise des espaces de direction resserrés et conçus pour décider vite, et n’avoir pas de retard pour se mettre en mouvement. Dans la période 2017-2022, le groupe parlementaire, qui n’avait alors que 17 députés, avait cette fonction. Depuis le passage à 72 députés, c’est la coordination des espaces qui joue ce rôle. Ce sont des instances qui peuvent être tout le temps en communication via des boucles sur des messageries et avoir la réactivité nécessaire à la politique moderne. Mais ce n’est qu’une partie de l’histoire. Car décrite ainsi, la vie politique ordinaire, quotidienne de LFI semblerait instaurer une indépassable coupure entre la base et le sommet. C’est oublier que la prise de décision, le fait de couper le nœud d’un côté ou de l’autre, ce que font les espaces de direction, donc, n’est que le bout d’un long processus qui est la prise de décision. 

D’abord, et de manière formelle et institutionnalisée, il y a des cadres de moyen et long terme qui sont posés régulièrement par les Insoumis. C’est ceux que nous avons décrit lors de la question précédente, notamment l’Assemblée représentative qui fonctionne d’une manière somme toute assez classique avec un texte, qui fait des aller retours entre la coordination, les groupes d’action, le tout synthétisé en assemblée. 

Ensuite, il y a un élément qui est à la frontière de l’institution et de la culture commune plus informelle. Cet élément, c’est le programme : l’Avenir en commun. Par sa méthode de construction, par ses mises à jour successives, l’importance qu’il tient depuis le début dans les discours des Insoumis et la centralité qu’il a acquis dans les discussions dans la gauche, ce document est devenu plus que simplement l’outil d’une campagne électorale. C’est une référence commune. Et c’est le cadre entendu dans lequel les insoumis jouissent d’une liberté d’initiative. C’est dans ce cadre que la souplesse de mouvement pour les dirigeants est admise. 

Au-delà du seul programme, il y a le fait que les dirigeants du mouvement qui sont amenés à prendre des décisions très rapides baignent dans un bain informationnel insoumis. La France insoumise, au quotidien, se présente comme un espace d’échanges d’informations très dense. Énormément d’informations circulent, toutes les heures entre la base et les élus et la direction, directement, sans prendre plus de temps qu’il n’en faut pour écrire sur une messagerie instantanée. On ne peut pas commenter la structure des organisations, politiques ou sociales, sans prendre en compte les technologies d’information et de communication à leur disposition. Le lien entre des structures centrales, des cellules de bases et d’éventuels échelons intermédiaires n’est pas de même nature s’il doit se faire avec le télégraphe, un téléphone pour cinquante foyers, un téléphone par foyer, ou des groupes de discussion instantanées sans limite. Une grande partie de la structure pyramidale, des habitudes de réunions à chaque étage, qui existait dans les partis de masse du 20e siècle étaient justifiés parce qu’ils répondaient à des contraintes concrètes de communication ! Elles ont disparu aujourd’hui. 

En quoi LFI se distingue-t-elle d’autres expériences politiques de gauche des années 2000 et 2010 ? Quels enseignements tirer des trajectoires de Podemos en Espagne, de Syriza en Grèce ou encore de Morena au Mexique ? De quelle manière, depuis sa création, la position de LFI a-t-elle évolué par rapport aux questions des alliances et des conditions susceptibles de promouvoir le projet d’une Europe sociale et une perspective altermondialiste ?  

On peut dire de manière générale que La France insoumise a jailli du même contexte historique que des expériences comme Podemos, le Bloco ou Syriza en Europe continentale, mais aussi les mouvements derrière Jeremy Corbyn au Royaume-Uni et Bernie Sanders aux Etats-Unis. Disons tout de suite que pour nous, Syriza est définitivement sorti de cet ensemble dès l’instant de la capitulation de Tsipras. Mais cet épisode a nourri nos réflexions d’ailleurs. Il nous a convaincu du niveau de conflictualité auquel il faut se préparer en cas d’expérience de pouvoir pour la gauche de rupture. C’est le principal problème auquel il faut se confronter, et, dans l’Union européenne, les institutions européennes, notamment les plus détachées de la souveraineté populaire comme la banque centrale, jouent un rôle clé comme instrument des classes dominantes pour écraser une expérience de gauche. C’est pourquoi la conclusion que nous en avons tirée a été d’approfondir l’orientation de rupture. D’une part, il ne faut pas nourrir l’illusion qu’un compromis rapide est possible avec les classes dominantes. Il ne l’est pas. Ensuite, pour cette raison, il faut préparer en amont les outils programmatiques pour mettre en place un rapport de force assez dur avec l’Union européenne. C’est pourquoi nous avons fait de ce point un point dur dans l’établissement des programmes communs de la NUPES ou du NFP. Enfin, il faut préparer les plans en réaction aux offensives que nous allons subir, en avance. 

Pour répondre plus directement au type d’internationalisme que nous construisons, notamment en Europe : nous sommes aujourd’hui dans une position particulière. Nous sommes la force qui jouit sur le continent de la position la plus avancée sur le plan électoral et militant. Cela nous donne la responsabilité de prendre l’initiative pour construire un réseau. C’est une question que nous considérons comme très importante. Nos dirigeants voyagent beaucoup, rencontrent partout les dirigeants des forces des autres pays d’Europe – mais c’est le cas aussi pour le continent américain dans sa globalité, et en Afrique. Nous croyons plus à travailler à recréer un véritable réseau international, d’entraide, de coordination, d’échanges entre camarades qu’à l’idée qu’une force homogène de la gauche de rupture pourra émerger directement à l’échelle européenne ou plus.

Vous insistez souvent sur le fait que LFI est un « mouvement » plutôt qu’un parti traditionnel, ou tout au plus un « parti-parapluie », conçu pour couvrir, soutenir et renforcer une diversité de pratiques de lutte, de coopération et de mobilisations, tout en étant lui-même influencé en retour par ces dynamiques. Cela soulève la question du rapport entre l’intérieur et l’extérieur, autrement dit entre LFI en tant que plateforme politique électorale et les mouvements sociaux. Pourriez-vous revenir sur cette conception de l’organisation et sur les relations entre LFI et les luttes sociales françaises de la dernière décennie ?

La question du rapport entre un “extérieur” et un “intérieur” ne se pose pas d’une façon aussi dichotomique pour nous. Précisément la forme d’organisation que nous tentons d’inventer se conçoit comme insérée dans un continuum avec le social, comme poreuse et non comme un organisme distinct et séparé par une membrane étanche du reste de la société. 

Donc nous nous vivons comme faisant partie du mouvement social, comme l’une de ses composantes et comme étant nourri par lui. Que ce soit dans l’affluence aux réunions des groupes d’action sur le terrain, ou dans les données de fréquentation de la plateforme Action Populaire, on peut clairement suivre à la trace l’histoire récente du mouvement social. Les périodes d’intenses mobilisations, par exemple le mouvement contre la réforme des retraites de 2023 ou le mouvement pour la paix en Palestine en 2024, sont des moments où le mouvement se gonfle, se remplit. On y constate une activité plus intense, des nouvelles inscriptions. Une période de reflux correspond à une accalmie pour le mouvement aussi, même s’il ne s’arrête jamais autant qu’on peut le voir pour un mouvement social. Donc, comme nous nous représentons notre relation aux luttes de cette façon, on comprend aisément que nous nous permettons d’y prendre des initiatives. 

Comme chacun l’aura remarqué, nous ne sommes pas sur la ligne traditionnelle des partis de gauche “on se met derrière les syndicats et rien d’autre”. Nous nous sentons légitime, par la place que nous y avons, par le lien qu’il a selon nous avec la politique représentative, à avancer nos propres options stratégiques pour le mouvement social, à proposer des dates, des moyens d’action. Cela ne signifie pas que nous voulons remplacer les syndicats, les collectifs, les associations ou les organisations autonomes de luttes. Nous avons une fonction particulière par rapport à eux qui tient au lien que nous entretenons entre la politique des luttes et la politique représentative, celle des institutions. Nous sommes là pour que les luttes puissent rentrer dans l’Etat, dans les institutions pour les transformer.  

La période 2018-2023 — marquée, outre la crise du Covid-19, par le soulèvement des Gilets Jaunes, qui a fait écho aux grandes insurrections dans d’autres pays, par la grève sociale contre la réforme des retraites de Macron et par des révoltes antiracistes (aux États-Unis en 2020, en France en 2023)— a sans doute constitué un tournant fondamental. En quoi et dans quelle mesure ces luttes ont-elles redéfini la ligne politique et la stratégie du mouvement ?

La période que vous décrivez marque pour nous l’entrée du peuple français dans un processus de révolution citoyenne. Le mouvement des Gilets jaunes a marqué une rupture. Au départ, c’est un mouvement qui part sur la question d’une taxe sur le carburant, et à travers elle en réalité, de la justice fiscale et des inégalités urbaines. Mais ce que l’on a vu, c’est en quelques semaines la transformation du contenu revendicatif de cette lutte. D’une part dans le sens d’un élargissement des revendications dans de nombreux domaines : refonte générale de l’impôt, salaires, retraites, écologie populaire, etc. Et d’autre part dans le sens de poser la question du pouvoir. Avec un mot d’ordre dégagiste : « Macron, démission » – ce n’est pas si banal en France de demander la démission du Président de la République. Avec des revendications démocratiques qui sont devenues centrales pour les Gilets jaunes : le référendum d’initiative citoyenne, la révocabilité des élus, la Constituante, etc. 

Le moment gilet jaune est peut être passé. Mais ce moment dégagiste, non. Depuis, lors de chaque grande convulsion du pays, on le voit rapidement réapparaitre. Les mouvements sociaux ne restent pas longtemps uniquement des mouvements sectoriels, cantonnés à un objet précis. On sent chez celles et ceux qui s’y impliquent le sentiment, voire la conscience que, pour que ça change vraiment, alors il faut que tout change. Et la question du pouvoir et du rejet de son organisation se pose dans leur esprit. Cela s’est encore produit, par exemple, dans la phase du mouvement contre la réforme des retraites qui s’est ouverte après la décision de l’utilisation du 49.3. 

Nous sommes dans un cycle long de révolution citoyenne, que nous concevons comme une phase plutôt que comme un événement insurrectionnel circonscrit. Notre stratégie face à cela est double. D’abord, nous essayons par notre action, par nos propositions, de faire en sorte d’éviter que cette phase ne se referme, de l’aider à traverser les épreuves et de maintenir ouverte la perspective constituante. Cela peut passer par des positions parlementaires. C’était la raison d’être de notre tactique à l’Assemblée sur la loi sur les retraites, qui a consisté à empêcher le gouvernement de trouver un pis aller pour camoufler son absence de majorité. Nous avons permis à ce moment à la rue de passer à une autre étape, et prévenu les manœuvres pour clore prématurément cet épisode de lutte. Cela peut aussi passer par des propositions institutionnelles que nous faisons. Ici, c’est l’exemple de la proposition de destitution d’Emmanuel Macron suite à son refus de reconnaître le résultat des élections du juillet 2024 qu’il faut évoquer. Il s’agissait de maintenir une perspective ouverte dégagiste, pour montrer que l’abandon des principes élémentaires de la démocratie parlementaire par le pouvoir macroniste ne signifiait pas la fin du combat. 

Deuxièmement, notre rôle comme mouvement politique est de faire en sorte que les moments électoraux s’intègrent dans ce processus long de révolution citoyenne. Nous le faisons par notre travail programmatique : quelle que soit l’élection, la configuration des alliances, une option de rupture doit être disponible. Ensuite, dans les élections, nous posons directement la question du pouvoir, de son caractère “à portée de main”. 

Quels sont les rapports entre LFI, les comités et associations de banlieue, ainsi que les syndicats ? Comment ont-ils évolué au fil du temps ? Quelles sont les tensions et convergences actuelles ? Quelle vision pour l’avenir de ces relations ?

Il faut d’abord poser un regard lucide sur ce qu’étaient les rapports entre la société française organisée et les partis de gauche avant l’existence de la France insoumise. Pour ce qui est des syndicats, le lien entre la CGT et le PCF s’était étiolé au fil des années et de l’affaiblissement électoral de ce dernier. Les liens entre les mouvements écologistes et les Verts s’étaient aussi affaiblis au fil des transformations de ces mouvements et des déceptions causées par les expériences gouvernementales des écologistes avec la social-démocratie. Enfin, les collectifs des quartiers populaires étaient carrément ignorés et méprisés. 

La France insoumise a choisi de regarder la société française telle qu’elle est aujourd’hui, et non en la fantasmant dans une vision passéiste. Elle s’est donné une forme et des modalités organisationnelles permettant l’implication de toutes et tous. Il n’est pas possible de fonder un mouvement de masse impliquant une discipline partidaire absolue et permanente au 21e siècle, fondée sur les rythmes de vie qui ont pu être ceux du prolétariat masculin organisé au siècle dernier. 

En conséquence, la France insoumise est un mouvement poreux à la société toute entière. Il reconnaît et organise la possibilité de l’engagement de chacun de ses membres hors du mouvement : dans le syndicat, le collectif, l’association. C’est ainsi que la plupart des militants insoumis peuvent privilégier un autre engagement en parallèle de l’engagement insoumis ou hors des périodes de campagne électorale. 

Cette organisation découle de la théorie de l’ère du peuple et de la révolution citoyenne. Elle identifie des nouveaux champs de bataille dans la société qui prennent place dans la ville, pour l’accès aux réseaux. Cela implique une attention particulière pour les acteurs qui mènent ces combats au quotidien, sous différentes formes. 

De ce fait, le programme insoumis se nourrit largement des demandes de la société. Les revendications des collectifs des quartiers populaires, des mouvements féministes, des jeunes pour le climat, des mobilisations dans les Outre-mer sont les nôtres, articulées dans un programme qui visent l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature. 

Ce dialogue programmatique oblige à de nouveaux rapports avec ces acteurs, individuels ou collectifs. Pour tourner la page de la défiance vis-à-vis du politique causée par les échecs de la social-démocratie, nous œuvrons quotidiennement pour impliquer le plus grand nombre. Dans les quartiers populaires, cela passe par un travail permanent de présence et de porte-à-porte, à rebours des pratiques militantes de la vieille gauche. Cela implique aussi de donner la place qu’ils méritent à ses habitants, lorsque nous organisons nos rencontres annuelles de quartiers populaires, ou lorsque nous investissons nos candidats aux élections. Là dessus, nous progressons petit à petit, à mesure que les uns et les autres se montrent volontaires pour faire ce travail ensemble. 

Il faut signaler que nous avons fait face aux réticences de la vieille gauche lors de récentes tentatives de mettre en œuvre notre stratégie d’union populaire au-delà des appartenances partisanes. Tant dans le cadre de la NUPES que du NFP, nous avons été à la pointe du combat pour faire de ces constructions des cadres ouverts à chacun, encartés ou non, et impliquer les syndicats et les associations. Cela n’a pas pu être possible en raison de celles et ceux qui n’y voyaient que des accords électoraux, jetant structures et engagements programmatiques par-dessus bord à la première occasion. Cela n’a pas été à la hauteur de l’espoir suscité mais ne nous empêchera pas de poursuivre cette stratégie lors des prochaines échéances.

Début 2023, vous avez lancé « Institut La Boétie », la fondation culturelle insoumise, avec laquelle plusieurs d’entre nous collaborent activement. L’ILB ne se limite pas à organiser des conférences et des débats publics ni à mener des enquêtes sur certains sujets : il joue également un rôle essentiel dans la formation collective et l’éducation populaire. Quelle est sa place dans la construction de LFI en tant que parti-mouvement ?

L’Institut La Boétie fait partie d’une réflexion que nous avons eu sur l’évolution du mouvement après la séquence électorale de 2022. Nous avions alors réalisé plusieurs objectifs importants : le “sorpasso” de la sociale-démocratie, confirmé dans deux élections présidentielles, la croissance de notre groupe parlementaire faisant de nous le premier groupe de gauche, l’expérience d’une union de la gauche sous direction de son aile la plus radicale. 

On entrait là dans une nouvelle étape. Une période dans laquelle nous devions quitter définitivement notre enfance, principalement incarnée par un dispositif de campagne imbattable. Cela passait par inventer un dispositif qui permette d’inscrire dans la durée le militantisme intellectuel de certains secteurs qui nous rejoignaient, surtout en cours de campagne, pour mettre leur production au service de la lutte. 

L’Institut La Boétie, c’est d’abord cette structure qui a cherché à confier à de nombreux universitaires, qui se rapprochaient de nous pendant les campagnes, des tâches plus permanentes. Dans ces tâches, il y a la production d’argumentaires utiles pour les militants bien sûr. Il y a le combat idéologique contre l’idéologie dominante et donc la production d’études, de mots d’ordre scientifiques pour la contrecarrer. Les économistes de l’Institut La Boétie ont beaucoup fait par exemple en France pour diffuser le récit de la boucle prix-profits lors de la crise inflationniste. Et bien sûr, l’éducation populaire comprise comme la création progressive d’une structure commune en matière de savoirs critiques. L’Institut La Boétie nous a permis aussi de traiter les grandes discussions stratégiques. C’est un espace pour discuter de la lutte contre l’extrême droite, des stratégies de lutte écologiste, de l’orientation électorale du quatrième bloc, etc. Il a l’avantage de décorréler ces discussions de toute compétition pour des places à l’intérieur de la FI. Et par ailleurs, il pose la discussion sur des bases qui sont celles d’analyses des sciences sociales. Notre livre collectif “Extrême droite : la résistible ascension” a par exemple été l’occasion de près d’une centaine de dialogues, à travers le pays, entre des chercheurs qui ont participé au livre, des responsables insoumis et des militants. Dont bien sûr, de grandes conférences retransmises avec Jean-Luc Mélenchon. Mais notre idée n’était pas que la relation entre les intellectuels et le mouvement ne devrait exister que dans un sens : celui du savoir que nous recevrions. Et d’ailleurs, ce n’est pas du tout la conception des universitaires qui participent à nos travaux non plus. Plutôt, la dimension d’interface de l’Institut La Boétie doit permettre de transformer aussi les intellectuels qui se retrouvent ainsi dans un contact permanent avec le monde militant, le monde des luttes, etc. Nous espérons bien que cet espace, les rencontres qu’il implique influence ceux qui y participent. Enfin, l’Institut La Boétie est aussi une école de formation militante. C’est là d’ailleurs que le contact le plus substantiel a lieu entre ces professeurs d’université et les militants insoumis. Cette école correspond à plusieurs objectifs du mouvement insoumis depuis 2022. D’abord, c’est un outil pour la solidification partielle du mouvement dont on a parlé plus haut. Avec l’étape dans laquelle nous sommes rentrés, nous avons besoin de plus de cadres que quand nous étions uniquement dans une sorte d’opération commando politique. Surtout, il y a un enjeu capital de recrutement social de ces cadres, cadres intermédiaires, futures figures locales du mouvement. La mobilisation des milieux populaires sur laquelle nous comptons ne peut se faire que si nous offrons une véritable représentation aux milieux populaires, dans leur diversité.

L’accélération du processus de fascisation des appareils d’État et l’essor électoral de l’extrême droite dans plusieurs pays constituent aujourd’hui des enjeux cruciaux. Face à cela, quel est l’horizon stratégique de LFI ? Comment envisagez-vous, par exemple, les notions d’antifascisme, de municipalisme et de double pouvoir ?

Nous insoumis pensons qu’il est crucial de prendre l’État. Si nous soutenons les mouvements de désobéissance, de résistance écologique, de lutte contre les grands projets inutiles, essentiels pour remettre en question l’hégémonie du modèle dominant et proposer des alternatives crédibles, leur action ne suffit pas. L’action directe et la désobéissance ont la capacité de bloquer des plans d’aménagement et de faire pression sur l’Etat, mais les zones d’autonomie sont insuffisantes pour une réelle protection des biens communs. Si nous voulons en finir avec le capitalisme : qui peut transformer l’appareil productif ? Des initiatives isolées, ou un État planificateur ? Nous faisons face à un problème de délai : la réalité de la crise écologique implique non seulement des changements très profonds mais aussi très rapides. 

Il est crucial de prendre l’Etat, et il faut le faire par les urnes, donc par les élections. Pourquoi via les élections ? Car l’action révolutionnaire armée n’est pas adaptée à la société française du XXIe siècle. Nous sommes matérialistes : depuis plusieurs décennies déjà, les insurrections armées et guérillas n’ont abouti qu’à la mort des nôtres. L’objectif de la victoire aux élections implique ainsi la construction d’un peuple révolutionnaire. C’est nécessaire mathématiquement : il y a besoin de 50% des voix +1 pour gagner. C’est nécessaire surtout d’aller mobiliser les abstentionnistes autour du programme qui fédère. 

Ensuite, un peuple révolutionnaire est nécessaire pour l’exercice du pouvoir. Face à nous se dressent déjà et se dresseront plus encore les forces de l’argent, le capitalisme, les grandes multinationales puissantes et organisées. La bifurcation écologique que nous voulons mettrons en œuvre nécessite de briser les forces de l’argent par la planification étatique, par une régulation radicale, et donc un pouvoir fort. Cela entraîne la nécessité d’affronter le capitalisme avec vigueur, et ne pourra donc être fait qu’avec l’appui du peuple. 

Aussi le gouvernement insoumis implique nécessairement la démocratie, au sens large. Ce sont les erreurs commises dans le processus de 1981 en France : des nationalisations ont été menées sans remise en cause de la direction des entreprises, ce qui est différent de la collectivisation que l’on défend. Les socialistes n’ont pas fait d’appel à la mobilisation du peuple et s’en sont donc coupé. La planification écologique que nous mettrons en œuvre doit impérativement être démocratique et s’appuyer sur les citoyens, en tirant parti de l’aspiration populaire à la réorientation complète de notre système. Plutôt que l’idée d’un double pouvoir, il s’agit pour les insoumis de prendre l’Etat pour le transformer, en organisant l’intervention populaire permanente et son appropriation par le plus grand nombre, notamment grâce à la mise en place d’une Assemblée constituante. Mais cela ne doit pas exclure une dialectique avec des zones d’autonomie, des zones d’expérimentation, de mobilisation populaire, en dehors de l’Etat. Notre stratégie révolutionnaire est un processus comprenant, et entremêlant la démocratisation de l‘Etat et la mise en ébullition de la société par un mouvement social fort en dehors de l’Etat, allant jusqu’à l’expérimentation de nouvelles formes de vie. 

Dans la perspective des élections municipales à venir, nous mettons en avant l’idée d’un communalisme insoumis. Pour nous, la commune est avant tout un outil au cœur de notre objectif politique : la révolution citoyenne. Bien sûr, elle ne peut pas être réalisée dans une seule commune. Ni même en gagnant les élections dans plusieurs communes en même temps. La place institutionnelle, les ressources financières et l’échelle productive des territoires communaux ne le permettent pas. Mais, peut se forger dans les communes la culture de l’intervention populaire permanente, mettant sur pied les pratiques, les habitudes, le nouveau rapport aux élus nécessaires pour construire la révolution citoyenne à l’échelle nationale. Elles sont un espace pour l’approfondissement de la souveraineté populaire. 

L’une des tâches centrales de la révolution citoyenne sera aussi de rompre avec le mode de production, de consommation et d’échange pour mettre les êtres humains en harmonie entre eux et avec la nature. La planification écologique est le moyen concret pour faire cela. Or, c’est dans les communes que se trouvent ses institutions, ses structures de base. C’est à ce niveau que peut se régler la délicate gestion des besoins réels, et le goutte-à-goutte des investissements. En amont et en aval, c’est à la démocratie communale de réaliser ce que le marché ne saura jamais faire. Il reviendra aux municipalités vouées à cet idéal de commencer à mettre en place les régies publiques, les sociétés publiques locales, les inventaires biosphériques, et de constituer les savoirs-faire dont la planification écologique aura besoin le moment venu à tous les autres niveaux de décision publique.

C’est dans ce cadre que nous affrontons l’extrême-droitisation de la sphère politico-médiatique. Nous n’affrontons pas un parti mais un mouvement idéologique fait de dérives et de fusions entre des acteurs qui partagent la volonté de protéger les intérêts de la bourgeoisie. Aussi ce phénomène nécessite-t-il une réponse antifasciste assumée. La réussite inédite de la manifestation contre le racisme et l’extrême droite du 22 mars doit beaucoup au travail de notre mouvement et montre une disponibilité populaire à la mobilisation pour une France débarrassée des fascistes. C’est aussi un ressort majeur de la victoire électorale du Nouveau Front populaire aux élections législatives de juillet 2024. 

Nous avons prévu cet affrontement face au fascisme. « A la fin, ce sera eux contre nous » : la formule de Jean-Luc Mélenchon a plus de 10 ans. Cette bataille implique la fortification des outils que nous avons patiemment construit : médias insoumis, communications sur les réseaux sociaux internes et destinés au grand public, service d’ordre, discipline organisationnelle… Elle implique aussi et surtout de ne pas céder un pouce de terrain idéologique et programmatique. L’affrontement dur avec la bourgeoisie nous a fortifié au combat. Il est de plus en plus violent, mais nous ne céderons pas.

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