Depuis quelques semaines, l’actualité est saturée par un vocabulaire guerrier. Cette situation fait suite à l’humiliation de Volodymyr Zelensky par Donald Trump dans le Bureau ovale du nouveau président des États-Unis. Depuis, Emmanuel Macron se rêve en chef martial. Ses laquais se préparent à justifier la destruction de l’État social au nom de la défense européenne. Des sommets sur le conflit entre la Russie et l’Ukraine sont organisés sans l’un des belligérants, et la Commission européenne s’agite tout en refusant de faire sans l’OTAN. C’est la grande surenchère aux expressions creuses dans la bouche des membres de gouvernement. Leurs appels successifs pour la construction d’une souveraineté et d’une indépendance stratégiques sonnent faux quand, dans le même temps, le Premier ministre, François Bayrou, refuse de soutenir et de nationaliser Vencorex – pourtant fleuron de l’industrie française de la défense – et ses 5000 salariés en Isère, même temporairement.
Les guerres au prix des minerais
Il nous faut, en tant que militants politiques, prendre du recul sur cette situation et tenter de comprendre ce qui se joue derrière les déclarations et les motivations des uns et des autres. La guerre est indissociable de l’espace dans laquelle elle se déploie. Elle s’enracine dans les zones où elle frappe, en tuant, en polluant, et modifie durablement les usages de ces espaces. Elle grandit et se propage pour ou par les ressources des territoires concernés.
Posons un instant notre regard sur un conflit qui fait rage à l’autre bout du monde. Le Rwanda de Paul Kagamé, avec la milice M23, pille ainsi les ressources minières de la République démocratique du Congo depuis des années. Aujourd’hui, 90 % des minerais exportés par le Rwanda proviennent de RDC. Ces minerais ont transformé la région en cimetière : des millions de personnes y ont perdu la vie depuis trois décennies. La vie y est bradée au prix du coltan, dont deux tiers des ressources mondiales se trouvent dans l’est du pays. Mais la guerre se poursuit aussi au nom de ces mêmes ressources. C’est très exactement cette deuxième dimension plus insidieuse qui s’est jouée lors de la rencontre entre Trump, Vance et Zelensky. Trump, sous couvert de la poursuite du soutien militaire étasunien à l’Ukraine, a tenté de piller les minerais stratégiques du pays, comme contrepartie, comme monnaie d’échange. Ici, le prix de la guerre est celui des minerais. Il en va de même des offensives répétées du président des États-Unis envers le Groenland. Si la richesse minière du sous-sol de cette immense île n’est pas forcément rentable à l’exploitation, il n’en reste pas moins que « vingt-trois des trente-quatre matières premières critiques qui figurent sur la liste établie par la Commission européenne sont présentes au Groenland », selon la Commission géologique du Danemark et du Groenland.
L’extractivisme : l’assurance vie du capitalisme.
En France, les macronistes répètent à qui veut bien l’entendre que les ouvertures des mines sont essentielles pour la “transition climatique” et pour l’indépendance française. Et ce au mépris de la démocratie qu’ils font semblant de convoquer eux-mêmes ! Ainsi, ils n’ont pas hésité à publier le décret qualifiant d’intérêt national majeur l’extraction et la transformation de lithium par la société Imerys dans l’Allier, un mois avant que se termine le débat citoyen organisé par la Commission nationale du débat public sur le sujet. Le Rassemblement national s’inscrit quant à lui en soutien au gouvernement, en appelant à “poursuivre l’effort de simplification des démarches administratives nécessaires à l’ouverture d’un nouveau projet minier”. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de vendre sans la moindre contrainte les sous-sols français à de grandes entreprises. Ils organisent donc de concert l’accaparement des biens communs au service de quelques-uns. Comme d’habitude.
Cet intérêt des acharnés du libre-marché pour les sous-sols du monde entier s’inscrit dans un contexte. Il faut surtout comprendre que la consommation de métaux et de minerais et donc leur extraction est en croissance exponentielle dans l’époque actuelle. L’auteur suédois Andreas Malm la définit sous le vocable de capitalocène afin d’identifier que le capitalisme est responsable de la crise écologique. Dans ce cadre, l’extractivisme est l’un des moyens de subsistance du système économique dominant. Dans le nouvel ouvrage de l’Institut la Boétie, l’économiste Cédric Durand revient sur l’avènement d’un capitalisme numérique dans lequel les Big Tech stockent, accaparent et vendent vos données personnelles. Tout cela n’est pas virtuel. Derrière les big data se cachent des centres de données qui fonctionnent grâce à des métaux, grâce à des minerais. Il en va de même pour les stratégies fantasmées d’un techno-solutionnisme supposé dédié à régler la crise existentielle du dérèglement climatique. Celui-ci défend le développement de technologies voraces en métaux et en minerais pour faire face au réchauffement climatique. Ainsi, les logiques capitalistes, comme l’obsolescence programmée et la vidéosurveillance, sont dépendantes d’un approvisionnement illimité en ressources minières. Ce qui, vous vous en doutez, est simplement impossible. D’abord, parce que les ressources terrestres ne sont pas infinies. Ensuite, parce que la teneur en métaux des gisements miniers est de moins en moins importante au fil du temps. C’est-à-dire qu’il faut de plus en plus de mines pour de moins en moins de rendements.
C’est dans ce cadre qu’il faut analyser les appels répétés à la construction d’une souveraineté industrielle et d’une indépendance minière française et européenne. Ils sont bien évidemment d’une hypocrisie sans nom quand on sait que l’industrie française a été détruite après une quarantaine d’années de politiques volontaristes de délocalisation. Toujours est-il que le mot d’ordre de la Commission et de Macron, est de se fournir en ressources “stratégiques” de métaux et de minerais extraits en Europe. L’objectif affiché est 10 % de ressources consommées d’ici à 2030. Il faut comprendre d’où vient cette situation.
Pendant mon travail parlementaire sur le développement des mines en France, j’ai eu la chance d’auditionner des chercheurs spécialistes des mines en France, des géologues miniers, des associations, etc. Tous m’ont expliqué que ce sont des considérations économiques et géopolitiques qui déterminent les ressources considérées comme stratégiques, critiques ou rares, et non l’intérêt général humain et la planification écologique. L’approvisionnement en métaux s’inscrit au sein d’équilibres internationaux géostratégiques et des logiques du libre marché. J’ai appris en échangeant avec la philosophe et journaliste Célia Izoard que la France a de nombreux partenariats stratégiques pour assurer son approvisionnement en ressources minières avec le Canada, dont les mines sont estampillées « responsables ». Quand on se penche sur le sujet, on se rend vite compte que c’est une vaste arnaque. D’abord, parce qu’aucune mine ne peut être réellement « durable ». La production de déchets importants et de captage de l’eau sont inévitables. Ensuite, parce qu’au Canada, l’exploitation minière des multinationales se fait le plus souvent dans des tourbières géantes, véritables puits de carbone, et sur les terres des Premières nations. Ainsi, cette extraction que finance la France repose sur des logiques néocoloniales qui détruisent des écosystèmes essentiels à la survie de l’humanité.
Pour une économie de la paix et de la bifurcation écologique : une sobriété métale ?
Pourtant, certains minerais sont souvent et à juste titre décrits comme indispensables pour la construction de batteries pour des petits véhicules, des trains, des panneaux solaires. Dans un sens, ils pourraient donc jouer un rôle clef dans la planification écologique. Les minerais seraient la propriété collective du peuple. Ils ne serviraient pas à construire des batteries de SUV ou des caméras de vidéosurveillance, mais à organiser, entre autres, une bifurcation technologique vers les low tech. En somme, comme nous le défendons dans notre programme l’Avenir en commun, la production, donc l’extraction minière, serait orientée au service des besoins sociaux et écologiques définis collectivement. Voilà pourquoi il faut s’intéresser aux ressources minières françaises. Pas pour extraire toujours plus, mais pour chercher à organiser un contre-modèle minier.
Les constats partagés par l’ensemble des personnes que j’ai pu auditionner sur les ressources nationales sont assez édifiants. D’abord, l’État français empêche scandaleusement toute transparence à leur sujet. Ensuite, il s’avère que le patrimoine minier français n’est pas si conséquent. L’indépendance stratégique de la France et de l’Union européenne en termes de métaux stratégiques est donc une fable. Surtout dans la bouche de ceux qui défendent à longueur de temps une “transition énergétique” sectorielle, reposant intégralement sur une augmentation des besoins en métaux et une croissance verte. Pour ne donner qu’un exemple, pour produire des batteries électriques nécessaires au renouvellement intégral du parc automobile mondial, il faudrait environ 200 fois la production de lithium planétaire en 2023. De manière plus perverse, les grandes multinationales transfèrent bien souvent l’amélioration de leur bilan carbone vers une détérioration de leur bilan métal. C’est-à-dire que la réduction de leurs émissions se fait au prix d’une augmentation de leur consommation en métal et en minerais, elle-même vectrice de très fortes sources de pollution et de dioxyde de carbone. Enfin, les mines ou les projets d’exploitation classés « durables » prennent bien souvent la présence de certains métaux utiles à la bifurcation comme prétexte pour exploiter des gisements de métaux plus rares ou chers, comme l’or par exemple. Il est donc urgent de hiérarchiser les besoins en minerais en prenant en compte le bilan carbone et le bilan métal de nos politiques économiques. Il faut objectiver notre consommation métal nationale. Nous devons démocratiquement construire la voie vers une sobriété métal dans laquelle l’extraction minière est indissociable d’une demande en métaux justifiée par la planification écologique et dont la consommation est maîtrisée du bout à bout de chaque filière. Il faut partir des besoins, pour garantir l’harmonie entre humains et nature au service de la paix. La sobriété métal est la condition sine qua non pour asseoir l’indépendance française et construire une économie de la paix respectueuse des droits humains, au service de la bifurcation écologique et de l’intérêt général humain.
