“Le seul sujet maintenant, c’est que cette réforme passe. Le président de la République n’en a plus rien à foutre du contenu”. Cette confidence grossière d’un proche du chef de l’Etat, rapportée par la presse, en dit plus qu’il n’y paraît sur la période politique actuelle.
La contre-réforme des retraites, mère des batailles pour le camp progressiste, n’est plus que le caprice d’un monarque isolé.
Dérive autoritaire et crise de la représentation
Emmanuel Macron veut aller au bout, coûte que coûte. On lit dans la presse des confidences stupéfiantes, comme ce conseiller affirmant qu’il n’accepterait de retirer sa réforme que si survient “un attentat” ou “un mort dans une manifestation”. Dans les mêmes articles, le président est présenté, exalté, comme un homme “déterminé” et “courageux”. Au lieu de courage, c’est surtout la solitude du monarque présidentiel qui est frappante dans la période.
Il s’entête, seul, contre tous les syndicats du pays, contre 93% des actifs, et même contre des députés de sa propre minorité. « La mobilisation sociale, digne et massive, amène à la réflexion », écrivait pourtant lundi dernier la députée macroniste Stella Dupont. Peine perdue dans un régime où les parlementaires de la minorité ne peuvent être que des marionnettes, des godillots, des playmobils. “Lorsqu’on est en responsabilité, on doit parfois savoir s’extraire de l’opinion publique”, affirmait en réponse le député Eric Woerth, quand la menace d’exclusion du groupe majoritaire plane sur celles et ceux qui ne voteraient pas en faveur du texte. Même tarif chez leurs désormais habituels alliés du groupe Les Républicains : les députés qui signeraient une motion de censure, seraient exclus du groupe.
Élus par défaut dans un océan d’abstention, nommés pour mettre en œuvre un projet sans majorité, parlementaires et ministres macronistes multiplient maladresses, mensonges, outrances et diversions. Ils ne sont que le dernier bataillon du régime des menteurs et des traîtres, rescapés de la Sarkozie et de la Hollandie.
Il ne faut pas les laisser tranquilles. Le mouvement La France insoumise est au service de la mobilisation, sous toutes ses formes. C’est la raison pour laquelle il a mis en place un outil d’interpellation des parlementaires sur son site internet. Les représentants du peuple doivent lui rendre des comptes. J’invite ainsi chacune et chacun à écrire aux parlementaires de son département pour leur demander de se conformer à l’avis du peuple en rejetant la réforme des retraites.
Nous ne pouvons accepter, silencieux, le gouffre anti-démocratique béant entre la volonté des Français et le choix des parlementaires. Rendez-vous compte : 10 des 14 membres de la commission mixte paritaire qui regroupe députés et sénateurs chargés d’élaborer la version finale du texte seront des partisans de la réforme ! Pour les 7 qui sont issus de l’Assemblée nationale, ils y seront sans mandat : sans vote, notre Assemblée n’a pas approuvé cette odieuse réforme. Le refus opposé de rendre les débats de cette CMP publics témoigne d’une nouvelle volonté de négocier à huis clos sur une réforme majeure pour la vie des Français.
Le bingo autoritaire de la Ve République : 47.1, 44.3, et… 49.3 ?
Si l’on ne s’en tient qu’aux petites lignes de la Constitution, le président de la République dispose de toutes les armes pour imposer son funeste projet de régression sociale : de l’article 47-1 qui a réduit à portion congrue le débat parlementaire, à l’ultime joker, le désormais usé 49-3 pour discipliner les réfractaires. Au Sénat, c’est l’article 44-3, organisant l’arrêt des discussions et un vote unique sur un texte incluant les amendements choisis par le gouvernement, qui a permis de couper court aux débats. Cela a ainsi achevé de convaincre les plus naïfs que les appels à un débat respectueux des procédures n’étaient que pure propagande.
Autant de tigres de papier que le monarque peut agiter, quel que soit le refuge où il se cache. Il y a une semaine, il se promenait ainsi, bière à la main, dans les rues de Kinshasa, au moment où syndicats et mouvements politiques mettaient en place des caisses de grève pour préparer la mobilisation massive et soutenir les salariés. Hier encore, il choisissait de rencontrer Viktor Orbán, président hongrois d’extrême-droite, tout en balayant la demande de rencontre de l’intersyndicale unie.
La force de la mobilisation des essentiels
Le voilà cependant dans une impasse. Conjuguée à une inflation record, la réforme des retraites a cristallisé les colères de tous les oubliés. Des ports aux raffineries, le pays est bloqué. Des cabinets médicaux aux cafés, les rideaux des indépendants sont baissés. Et partout dans le pays, de Bar-le-Duc à Paris, de la Plaine-des-Palmistes à Charny, on manifeste par centaines là où on n’a jamais manifesté, on est par millions là où on est d’habitude des milliers.
Les essentiels, sont entrés dans l’action. J’étais ce samedi aux côtés des éboueurs mobilisés. Notre mouvement a remis 20 000 euros à leur caisse de grève, pour les aider à tenir dans leur dure lutte.
À l’heure où la plupart d’entre nous nous levons à peine, ils sont chaque jour dans la rue, sous la chaleur ou la pluie battante, pour faire fonctionner un réseau indispensable à nos vies. Ces salariés, qui devront tous travailler deux ans de plus si la réforme passe, sont un double symbole de la période dans laquelle nous nous trouvons. D’une part, ils sont la parfaite illustration de l’injustice de cette réforme qui s’abattra surtout sur les plus faibles. D’autre part, ils nous montrent la force du blocage du pays par les secteurs stratégiques, alors que les déchets s’amoncellent sous nos fenêtres.
L’affaiblissement organisé du tissu associatif et syndical en Macronie – de la destruction des contrats aidés à la suppression des CHSCT – n’aura pas eu raison de la capacité du peuple à s’organiser. Les gilets jaunes, le mouvement climat et la discipline et le sérieux du mouvement social en cours l’ont démontré.
Le déblocage est possible. Mais les portes de sorties raisonnables sont peu nombreuses. Seuls le retrait ou le référendum permettraient le retour au calme. Le pays, frappé par une inflation délirante, ne doit pas subir le fardeau de deux ans de plus au travail pour les plus précaires. Les Français ont exprimé leur rejet de la réforme par la grève et la manifestation. Si cela ne suffit pas aux macronistes, ils doivent pouvoir le faire par les urnes.