Dans le cadre de ma tournée européenne contre l’extrême droite, j’étais les 11 et 12 avril à Madrid, invitée au Congrès de Podemos. Interview pour ElDiario.es.
C’est un moment tumultueux, avec Donald Trump aux États-Unis et la montée de l’extrême droite en Europe, avec la France en première ligne. Quelle devrait être la réponse de la gauche ?
Nous sommes dans une phase réactionnaire. Donald Trump, Elon Musk et le pouvoir économique se mettent au service de l’extrême droite. Musk a soutenu l’extrême droite en Allemagne et au Royaume-Uni mais aussi Marine Le Pen et Giorgia Meloni. C’est pourquoi une internationale progressiste est plus nécessaire que jamais.
En France, nous avons pu gagner les élections législatives convoquées par le président Macron, mais l’extrême droite a encore une présence très importante dans les différentes instances de pouvoir de l’État. Malgré la condamnation de Marine Le Pen pour détournement de fonds publics, les intentions de vote pour l’extrême droite restent très élevées.
Au sein de la gauche, il y a un discours de résignation selon lequel l’extrême droite est forte, n’a même pas besoin de faire campagne. Ses thèmes, comme l’immigration, sont déjà omniprésents dans les médias. C’est une idée performative et nous essayons de la combattre. Nous avons déjà gagné les élections législatives et nous devons faire de même pour la présidentielle.
À l’Assemblée nationale, nous avons diagnostiqué une faiblesse et une contradiction de l’extrême droite. D’un côté, ils disent défendre les intérêts des classes populaires avec un discours démagogue, mais en même temps, ils prétendent aussi défendre les intérêts des classes supérieures. Il faut le dire clairement : l’extrême droite défend les intérêts des riches.
Macron a refusé de nommer un Premier ministre du Nouveau Front Populaire et a opté pour un gouvernement minoritaire composé de figures de la droite et de macronistes. Quelle lecture faites-vous de la situation de François Bayrou et du président ?
C’est une situation très paradoxale. Selon la Constitution française, la décision de nomination est prise par le président. Macron a préféré voler notre victoire aux élections législatives en refusant de nommer un candidat du Nouveau Front Populaire (NFP). Le résultat est un gouvernement fragile, sans légitimité populaire.
Je ne sais pas si le gouvernement de Bayrou tiendra. D’un côté, il est en minorité à l’Assemblée et de l’autre, les révélations sur des cas d’abus sexuels sur des mineurs au sein d’établissements scolaires dont il aurait été au courant lorsqu’il était député de la circonscription le mettent en danger. Il est donc dans une situation très fragile.
Il reste encore deux ans à Macron, mais il ne peut faire passer aucune réforme. C’est une contradiction : d’un côté, il dit être un leader de guerre, dit aux Français que nous sommes en guerre, parle à Trump et assure qu’il faut se réarmer militairement. Mais il ne peut pas gouverner. En pratique, son mandat est déjà terminé.
Beaucoup prédisent qu’il y aura de nouveau des législatives cette année.
L’hypothèse de la dissolution est sur la table, mais la possibilité d’une majorité macroniste n’existe dans aucun scénario. C’est pourquoi ils hésitent. À la France insoumise, nous faisons déjà campagne avec la présidentielle, mais aussi avec les municipales de l’année prochaine, en tête. Il y a six ans, lors des dernières municipales, la France insoumise était un mouvement très jeune qui n’était pas encore prêt. Maintenant, nous nous réarmons idéologiquement. En janvier, j’ai lancé une mise à jour de notre programme pour définir ce que nous proposons au pays.
Y aura-t-il des élections présidentielles anticipées ?
C’est une hypothèse. Cependant, comme il ne peut pas se présenter une troisième fois, il va essayer de tenir son mandat jusqu’à son terme. C’est pourquoi il se déplace vers la droite et l’extrême droite, pour chercher une majorité solide. Lorsqu’il a dû nommer un Premier ministre, il aurait pu choisir un représentant de la France insoumise, il a décidé de ne pas le faire. Nous sommes à la fin d’un mandat où nous subissons des lois de plus en plus dures sur la sécurité et l’immigration, centrées sur le carcéral et le pénal. À la France insoumise, le climat est à la résistance mais aussi à la conquête, avec la présidentielle en ligne de mire.
En 2022, Mélenchon est resté aux portes du second tour et les partis de gauche étaient partis séparés. L’année dernière, l’union des gauches a réussi à freiner l’extrême droite. Est-il préférable d’y aller ensemble aux présidentielles ?
Cela me semble compliqué. Deux des quatre forces du NFP – les écologistes et les socialistes – sont actuellement dans leurs propres processus internes. Ils définissent leurs propres lignes politiques, ce qui peut changer les interlocuteurs avec lesquels nous travaillons et avons conclu un accord en juillet 2024. Par exemple, si les personnes et la ligne du Parti Socialiste changent, cela influencera la nature de la coalition.
À chaque élection, les rapports de force sont mesurés. Et cela ne se passe pas seulement en France. Il faut décider comment le faire, si c’est avec une logique d’unité à tout prix et d’accompagnement du néolibéralisme, ou si c’est de rupture. Nous choisissons la rupture. Si nous regardons la stratégie, le Parti Socialiste essaie de conquérir un électorat plus central et de gauche modérée, même d’anciens macronistes. Pour nous, le problème est celui des abstentionnistes, des dégoûtés de la politique, qui sont de plus en plus nombreux. Notre stratégie est de miser sur la radicalité, et de convaincre ces gens qui s’abstiennent. Pour cela, il faut avoir une force idéologique, pour déterminer les décisions politiques à prendre pour faire face à l’extrême droite.
Mélenchon peut-il susciter un consensus en tant que candidat de LFI aux prochaines élections présidentielles ?
Il a été candidat à trois élections présidentielles avec des résultats de 12, 19 et 22%. Nous considérons qu’il est le meilleur représentant du mouvement. Son niveau de popularité est très élevé et il a une expérience de campagne sans égal. Oui, il y a des débats, mais il existe un consensus autour de lui.
La condamnation de Le Pen a secoué la politique française. Votre parti a réagi différemment des autres formations de gauche : vous avez affirmé que vous vous opposiez à toute décision qui rendrait qui rendrait impossible une possibilité de recours, et qu’il fallait combattre le Rassemblement national (RN) dans les urnes. Pouvez-vous expliquer cette position ?
Nous considérons que tout cela est extrêmement grave. L’enquête a été très longue et nous respectons les décisions de justice. Nous défendons le droit de faire appel, car nous pensons que le processus doit être respecté jusqu’au bout, avec toutes les garanties juridiques. Nous pensons que le RN pourrait exploiter cette situation pour victimiser Marine Le Pen, c’est pourquoi il est nécessaire de prévoir des garanties afin d’éviter une instrumentalisation électorale.
L’extrême droite va continuer d’exister, même sans Le Pen. Bardella est bien positionné idéologiquement et il impose le tempo. Il ne faut donc pas combattre l’extrême droite dans les tribunaux, mais sur le terrain des idées.
Où se situe votre parti dans le débat sur le réarmement en Europe ?
Macron a annoncé qu’il voulait reconnaître l’État palestinien et la présidente de l’Assemblée nationale, qui, il y a quelques mois, apportait son soutien inconditionnel à Israël, admet maintenant les massacres et dit que le gouvernement de Netanyahou en est responsable. Cela fait deux ans que nous demandons un cessez-le-feu et nous avons été seuls à le demander dès le départ.
De la même manière, cela fait des années que nous disons que l’appartenance à l’OTAN nous soumet aux États-Unis et nous place dans une situation de dépendance, de manque de souveraineté et d’autonomie, qui nous lie à Washington dans toutes les guerres qu’ils décident de mener.
Avec le débat sur le réarmement, nous réaffirmons notre position du non-alignement, que nous défendons depuis des années. Nous avons la solution. Il faut sortir de l’OTAN et travailler en coopération avec des partenaires fiables, mais sans être dépendants des États-Unis. Il est important de souligner que plus de la moitié des armements importés par l’UE viennent des États-Unis et toutes les décisions prises par Trump renforcent l’OTAN.
Ce discours sur le réarmement et la guerre, introduit par Macron, nous fait négliger d’autres questions essentielles, notamment le changement climatique et ses conséquences. En France, nous avons près de dix ans de retard en ce qui concerne les transports publics, l’efficacité énergétique et la rénovation des bâtiments, des sujets qui touchent les classes populaires. Maintenant, il y a de l’argent pour le réarmement, alors qu’ils disent depuis dix ans qu’il n’y en avait pas pour tout cela. C’est une question de priorités et, pour nous, le changement climatique devrait être une question vitale.
Misez-vous alors sur l’autonomie stratégique européenne en dehors de l’OTAN ? Quelles mesures proposez-vous en ce sens ?
Nous ne défendons pas l’autonomie militaire européenne. Nous considérons que la défense est une compétence nationale. Pour sortir de l’OTAN, nous proposons de sortir du commandement intégré et ensuite viendra la sortie, plus complexe, de l’organisation. Nous pensons qu’il doit y avoir une coopération surtout au niveau industriel entre les pays.
Il faut rappeler que la conception française de la défense repose sur la dissuasion nucléaire, donc la défense est une prérogative nationale, de souveraineté populaire. En résumé, coopération bilatérale entre les pays européens et dissuasion nucléaire comme stratégie de défense.
Macron pourrait reconnaître l’Etat palestinien en juin, est-ce une avancée ?
C’est une avancée symbolique, mais elle a aussi des implications diplomatiques. C’est une bonne nouvelle, mais elle arrive trop tard : après 50 000 morts dans un génocide diffusé en direct sur les réseaux sociaux pendant deux ans et après beaucoup d’infamie contre la France insoumise, qui pendant tout ce temps a demandé un cessez-le-feu et a dénoncé le génocide que les macronistes ont continuellement nié. Mais elle doit être accompagnée d’autres mesures comme des sanctions économiques contre le gouvernement d’extrême droite de Netanyahou ainsi que le soutien à la Cour pénale internationale et le mandat d’arrêt, en s’assurant que si Netanyahou met le pied sur le sol français, il sera arrêté.