Pouvoir se développer, faire des ressources une richesse

Aujourd’hui, j’ai rencontré les représentants de la Collectivité territoriale de Guyane, des maires de communes enclavées, la présidente de la Chambre de commerce et d’industrie et les présidents des sections professionnelles. On a parlé développement économique, industrie et besoins en formation. 


Discussion avec la Collectivité territoriale de la Guyane



Une situation critique 

Le tissu productif en Guyane est peu développé, ce qui la rend dépendante des emplois publics (40% des emplois) ainsi que des importations (elle importe 10 fois plus qu’elle n’exporte). De même, la Guyane dépend à 80% des importations d’hydrocarbures pour son approvisionnement en énergie. 

Ce contexte économique participe de la crise sociale. Je vous en parlais dans ma première note : 22% de la population est au chômage, 46% chez les jeunes de moins de 25 ans. 8% de la population guyanaise est allocataire du RSA (3 fois plus que dans l’Hexagone). 53% de la population vit sous le seuil de pauvreté. 

Par ailleurs, la dépendance aux importations en provenance de pays lointains – il n’y a pas d’accords de commerce entre la Guyane et ses voisins – explique en partie le coût terriblement élevé des biens de consommation, et accroît le risque de pénurie. 

Pourtant, la Guyane est riche de son environnement : ensoleillement, eau, bois, ressources halieutiques et marines… Elle a un patrimoine naturel à valoriser et pourrait atteindre l’autosuffisance alimentaire et énergétique. Les Guyanais ont une conscience aiguë de ce potentiel, ce qui alimente le sentiment d’incompréhension et les tensions autour de l’usage des terres, dont je vous parlais hier. Gabriel Serville, président de la Collectivité territoriale de Guyane, déplore que les projets dans les secteurs de l’énergie et de l’agroalimentaire se heurtent à “une réglementation tatillonne et inadaptée à la situation de la Guyane.” 

L’économie illégale joue également un rôle important dans les difficultés que rencontre le territoire. Je vous parlais dans ma précédente note de l’orpaillage illégal. Mes interlocuteurs de la Chambre de commerce et d’industrie me donnent l’exemple de la pêche : le 3ème secteur économique de la Guyane est en train de couler à cause de la pêche illégale. En 2021, ce sont 167 tonnes de poissons pêchés illégalement qui ont été saisies par les autorités – et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, les contrôles sont loin d’être systématiques. 





Une Guyane à deux vitesses 


Après la commande publique, le deuxième plus gros pourvoyeur d’emplois en Guyane est le centre spatial de Kourou, base de lancement de l’Agence spatiale européenne (ESA) et de l’Agence de l’Union européenne pour le programme spatial (EUSPA). Le centre spatial emploie de façon directe ou indirecte 16% de la population active guyanaise, et représente 15% du PIB du territoire. Il totalise 25% des investissements effectués en Guyane, 40% du total des importations et 83% des exportations. 

L’écart est frappant entre l’industrie spatiale guyanaise, à la pointe de la technologie et profitant d’investissements massifs en provenance de la France et de l’Union européenne, et les conditions de vie du reste des habitants de la Guyane. Les élus de la CTG résument ainsi le paradoxe : “Ici, on a lancé le télescope James Webb, qui va permettre d’obtenir des images extraordinaires et d’informer le monde entier, mais au sol il est impossible pour les Guyanais de communiquer car il n’y a pas de réseau.” Le contraste renforce le sentiment d’abandon et de déconsidération dont me font part les maires de communes enclavées lors de cet échange. 



De grands besoins en formation 


Tous mes interlocuteurs le mentionnent : le manque de formations adaptées est un obstacle majeur au développement économique du territoire. 

Selon le rectorat, en 2023, 2 300 enfants sont non-scolarisés. 27% des jeunes Guyanais sont illettrés, contre 3,5% des jeunes dans l’Hexagone. 45% des élèves de sixième ne maîtrisent pas le français, et plus de 50% des 16-25 ans ont des difficultés de lecture. Par ailleurs, cette situation ne semble pas connaître d’amélioration : les chiffres pour 2022 sont les mêmes qu’en 2013. 

La crise de recrutement de professeurs que connaît la France hexagonale à chaque rentrée se retrouve en Guyane au quintuple : pour les professeurs des écoles, cette année, seuls 37% des postes ont été pourvus. 

La directrice de l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (INSPE) m’explique que beaucoup de jeunes obtiennent leur diplôme de master des métiers de l’enseignement, mais ne sont pas autorisés à passer les concours de l’éducation nationale car ils ne disposent pas de papiers français. Une ineptie, selon elle, dans ce contexte de pénurie de professeurs. 



Un autre chemin 


Il est possible de faire de la Guyane un territoire pilote de la planification écologique, et le fer de lance d’une diplomatie altermondialiste. Le développement économique du territoire doit être pensé dans un objectif d’autonomie alimentaire et énergétique, et par la construction de relations avec les pays voisins. La Guyane doit pouvoir rejoindre les coopérations régionales avec lesquelles elle a des intérêts et des objectifs communs.

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