Mardi a eu lieu le vote sur la proposition de loi « portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie » à l’Assemblée nationale. Ce texte a été rejeté. Je profite donc de ce moment de sursis pour vous raconter la gravité de ce qu’il contenait et ce qui se prépare pour la suite.
Le tout-nucléaire ou la politique de l’autruche
Pour bien comprendre la situation catastrophique dans laquelle les macronistes s’efforcent de plonger le pays, un peu de contexte s’impose. Depuis des mois, ils orchestrent un démantèlement autoritaire et généralisé du droit environnemental, déjà bien fragile. Il s’agit pourtant du strict minimum, qui devrait être étendu pour préparer notre pays à la crise existentielle qui se profile. La liste de leurs méfaits est longue : des milliards d’euros retirés du budget de la bifurcation écologique, l’utilisation de 49.3 déguisés pour réintroduire des pesticides dangereux pour la santé et contourner les décisions de justice concernant l’A69, la suppression à la pelle d’agences essentielles pour lutter contre le réchauffement climatique, la suspension du dispositif de MaPrimeRenov… Dans le même temps, 2024 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée et les émissions de gaz à effet de serre n’ont jamais été aussi élevées. C’est donc absolument dramatique.
Cette coalition gouvernementale, qui réunit les macronistes et la droite et qui gouverne avec le soutien tacite du Rassemblement national, est minoritaire à l’Assemblée et dans tout le pays. Pour mettre en œuvre son agenda climatosceptique, elle a donc recours à une méthode bien rodée. Celle-ci consiste à introduire subrepticement à l’ordre du jour des textes émanant de la droite sénatoriale, lui permettant ainsi de contourner l’Assemblée nationale et d’éviter de s’impliquer directement. C’est de cette manière que la proposition de loi “Grémillet”, du nom du sénateur qui la portait, censée servir de feuille de route à la politique énergétique de la France, a été présentée. Vous l’aurez compris, il s’agit d’un manque de respect institutionnalisé, ou pour le dire autrement, d’une fumisterie en bonne et due forme. D’abord, parce que les macronistes avaient eux-mêmes fait adopter une loi qui oblige le gouvernement, et non les sénateurs, à présenter tous les cinq ans une programmation énergétique à la représentation nationale. Ensuite, parce que ce texte, en l’état, était absolument inadmissible.
On y trouvait entre autres choses : des objectifs de réduction d’émissions carbone affaiblis, des attaques contre la zéro artificialisation nette des sols, et la requalification irresponsable de déchets nucléaires. Sans oublier des paris risqués comme la relance du nucléaire qui ne sera pas opérationnel avant 2028, et dont chaque nouveau réacteur coûte entre 10 et 20 milliards d’euros. Autant vous dire que les mozarts de la finance ont encore frappé ! La macronie a aussi sciemment tenté de brouiller les pistes entre énergies renouvelables et énergie nucléaire en supprimant les objectifs spécifiques de développement des énergies renouvelables pour les remplacer par des objectifs d’énergie “décarbonée”. Avec le discours de Belfort d’Emmanuel Macron comme seule boussole, dans lequel il défendait la relance du nucléaire à tout crin sans avoir consulté personne, ils continuent de fantasmer le tout nucléaire contre la sobriété et le renouvelable. Pourtant, aucun scénario sérieux ne fait le pari de la sortie des énergies fossiles par un mix majoritairement nucléaire. Il ne faut donc pas s’étonner que la France d’Emmanuel Macron soit en retard d’un an sur ses politiques climatiques selon le Haut Conseil pour le Climat et soit le seul pays européen à ne pas tenir ses objectifs en matière de développement des énergies renouvelables.
La macronie aux abonnés absents déroule le tapis rouge à Marine Le Pen
Évidemment, les insoumis et les insoumises ont bataillé à l’Assemblée pour revoir la copie de ce grand plan de sabotage écologique. En commission, nous avons accumulé les victoires : en rétablissant les tarifs réglementés du gaz, en reprenant la main sur EDF, en empêchant la relance du nouveau nucléaire, et surtout en accélérant le développement des énergies renouvelables. Mais vous le savez maintenant, la macronie est mauvaise perdante, si bien que le ministre de l’Énergie a annoncé qu’il publierait les décrets de programmation énergétique avant même la fin du débat sur le texte. Pratique : il pourra fixer la stratégie énergétique de la France comme il l’entend, sans que les députés aient leur mot à dire !
Après cet énième coup de force du gouvernement, les députés macronistes ont alors soudainement disparu. Leur absence notable pendant les débats a ainsi déroulé le tapis rouge au clan de Marine Le Pen dont le négationnisme climatique n’est plus à démontrer. Le Rassemblement national a ainsi voté pour la réouverture de centrale nucléaire de Fessenheim, connue entre autres pour ses “problèmes de sûreté et de sécurité”, et pour un moratoire sur les éoliennes terrestres et en mer ou installations photovoltaïques. C’est cohérent avec le programme de l’extrême droite qui veut démanteler le parc éolien de notre pays.
C’est une aberration écologique, économique et industrielle. D’abord parce que toute les personnes sérieuses qui travaillent sur le sujet montrent que la bifurcation écologique ne se fera pas sans un mix énergétique renouvelable. Sauf hausse massive des énergies renouvelables, la France est condamnée à ouvrir massivement des centrales à charbon ou à subir des coupures d’électricité. En France, deux tiers des émissions de gaz à effet de serre sont produites par la consommation d’énergie. En 2023, lors de la COP28, un objectif mondial a été établi : tripler la production d’énergies renouvelables d’ici 2030. Autant vous dire que nous en sommes encore bien loin. Ensuite parce que le secteur des énergies renouvelables représente 160 000 emplois indirects. Voter un moratoire, c’est donc signer des plans de licenciements et l’accélération de la désindustrialisation de notre pays. C’est le contraire qu’il faudra faire : le 100% énergies renouvelables, c’est un million d’emplois en plus ! Le scénario que défend la France insoumise s’appuie sur les études sérieuses sur le sujet : on peut le faire sans raser des forêts ou remplacer des terres agricoles par des panneaux solaires. Cela implique de reprendre le contrôle public du secteur plutôt que de laisser faire le chaos du marché. Enfin, parce que la stratégie du RN et de la macronie pour une France indépendante basée sur le « tout électrique, tout nucléaire » n’est pas crédible : la totalité de l’uranium est importée.
Résultat des courses : une fois de retour dans l’hémicycle, le groupe macroniste a finalement rejeté le texte qu’il soutenait, après l’avoir laissé être détricoté par le Rassemblement National. C’est un sursis parce que le moratoire de Marine Le Pen a été écarté. Mais nous ne sommes pas naïfs et savons qu’il s’agit d’une nouvelle magouille parlementaire des macronistes pour imposer le nouveau nucléaire de façon autoritaire.
Nous ne laisserons pas faire ! L’énergie est un bien commun essentiel pour se déplacer, se chauffer, se nourrir, et s’éclairer. La politique énergétique de notre pays doit donc répondre à nos besoins collectifs définis démocratiquement. Le seul chemin pour garantir un accès égal à cette ressource vitale et réussir la bifurcation écologique est celui du 100% énergies renouvelables et de la sobriété. C’est crédible techniquement et économiquement comme le montrent les scénarios de négaWatt, de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME), du Réseau de Transport d’Électricité (RTE). Nous le ferons.