Je prends quelques minutes pour m’extraire des débats sur le budget en cours à l’Assemblée nationale pour vous parler d’un enjeu crucial. Il s’agit des terribles inondations qui ont ravagé l’Espagne. On compte à ce jour 223 morts, et ce bilan dramatique devrait s’alourdir encore. Pour commencer, j’adresse évidemment toutes mes condoléances aux proches de victimes, et toutes mes pensées à celles et ceux qui ont tout perdu dans cette catastrophe.
Un drame prévisible
Au-delà de l’émotion, il est nécessaire de faire un bilan sérieux des causes qui ont rendu possible un tel désastre. Alors que le changement climatique va amener les événements météorologiques extrêmes à être de plus en plus fréquents, la prise en compte de ces phénomènes dans toutes les politiques publiques est un enjeu crucial pour réduire au maximum leurs conséquences.
Cela n’a pas été le cas dans la région. Au contraire. L’urbanisation à tout crin a détruit les protections naturelles contre les inondations. L’urbaniste Clément Gaillard l’explique dans un entretien à Reporterre. Ainsi, deux tiers des vergers de la région ont été détruits ces dernières décennies : 9 000 hectares de vergers valenciens ont disparu entre 1956 et 2011 ! Parmi les décisions politiques néfastes en la matière, on peut aussi citer le détournement du fleuve Turia. La municipalité de Valence l’avait déviée, en aménageant un nouveau lit de 12 kilomètres qui contourne l’agglomération par le sud, croyant pouvoir ainsi s’en protéger. Détourner les chemins de l’eau et penser pouvoir passer outre le grand cycle de l’eau est un non-sens. On le voit bien en France avec les absurdes mégabassines : des gigantesques quantités d’eau se retrouvent privatisées, évaporées et exposées aux bactéries, nuisant à la biodiversité et à la majorité des usagers.
On peut ajouter à cette liste l’urbanisation anarchique à proximité de la ville dans des zones inondables, qui a aggravé cette vulnérabilité. Un million de logements se trouveraient en zone inondable dans le pays, dont plus du quart dans la seule province de Valence, nous apprend un article de l’Express. Le phénomène urbain est un enjeu majeur pour l’humanité. La majorité d’entre elle habite désormais en ville. Les politiques du logement et de l’aménagement du territoire doivent en conséquence être pensées au service de l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature, pas au service des profits des secteurs de la banque et de l’immobilier.
Des victimes de l’impréparation politique et du climatoscepticisme
Les trop nombreuses victimes sont aussi celles de l’impréparation politique de la droite et de l’extrême droite espagnole. L’Express nous apprend aussi que Carlos Mazón, le président de la Généralité de Valence et membre du Partido Popular (droite) allié avec le parti d’extrême droite Vox, a prévenu la population à 20 heures alors que l’Agence nationale de météorologie alertait depuis 7h31 du matin sur la gravité de la situation. Il avait lui-même fait supprimer l’Agence valencienne du changement climatique et l’Unité valencienne de réponse aux urgences. À l’échelle nationale, son parti avait voté contre une loi dédiée à prévenir la multiplication des inondations liées au dérèglement climatique. Une aberration.
Cette alliance climatosceptique du bloc libéral et du bloc réactionnaire meurtrière se déploie également en France. Pendant la discussion à l’Assemblée nationale de ma proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur les méga bassines, j’ai été estomaquée de voir la minorité présidentielle, la droite et l’extrême droite pérorer de concert quant au supposé non fondement de cette proposition. Leur argumentaire pour défendre l’accaparement d’un bien commun par quelques-uns relevait systématiquement d’un soutien sans faille au modèle agricole dominant, pourtant responsable de 19% des émissions de gaz à effet de serre. C’est pourtant cette industrialisation du secteur primaire qui a rendu les sols et les paysages français moins résilients aux fortes pluies. Les inondations dans le Pas de Calais de l’hiver dernier en sont le témoignage le plus récent. Le journaliste Stéphane Foucart rappelait alors dans le Monde que “c’est aussi dans le nord de la France que l’industrialisation de l’agriculture a contribué le plus fortement à l’agrandissement des parcelles, à l’arrachage des haies, à l’arasement des talus, à l’imperméabilisation des terres arables abîmées par un demi-siècle de pesticides, en bref à tout ce qui contribue à rendre les paysages de moins en moins résilients aux précipitations extrêmes renforcées par le changement climatique”.
Un drame qui ne va pas être isolé
L’Organisation mondiale météorologique (OMM) alerte et estime que les catastrophes liées aux inondations ont augmenté de 134% depuis l’an 2000. En France, la moitié des communes sont concernées par le risque d’inondation. Rien que le mois dernier, 380 d’entre elles ont été touchées dans le Sud et les Centre-Est. Le développement urbanistique, comme à Valence, n’a pas été pensé pour faire face au dérèglement climatique. En Île-de-France, 100 000 logements, majoritairement collectifs, ont été construits en zones inondables. C’est 25 000 dans le Val-de-Marne où se situe ma circonscription. Plus grave encore, depuis 10 ans, 9250 ont été construits dans des zones d’aléas “forts” à “très forts”. La situation de Valence n’est donc pas un cas isolé, et la France est aussi en proie à subir les conséquences de plusieurs décennies de maladaptation et de déni face à la catastrophe environnementale.
Une urgence : planifier pour s’adapter
Faire le bilan des 223 morts à Valence, c’est donc constater la nécessité de planifier la bifurcation écologique pour nous adapter au dérèglement climatique et à la catastrophe environnementale. Michel Barnier a présenté le troisième plan d’adaptation au réchauffement climatique le vendredi 25 octobre. Il illustre avec brio tout ce que n’est pas la planification écologique. Ce plan n’a aucune valeur normative, ne fixe aucune feuille de route et n’est doté d’aucun moyens humains et financiers qui lui sont propres. Ses 51 mesures ne feront pas oublier la suppression de 95 postes au sein de l’Office national des forêts et les 1,5 milliard de moins pour le Fonds vert prévus dans le budget Barnier, ni la fusion de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et de l’ex-Agence française de la biodiversité (AFB) sous l’égide de l’OFB organisée par Macron en 2020 …
La France insoumise défend depuis 2017, un plan précis, chiffré et séquencé pour la planification écologique conçu en miroir de nombreuses mesures d’adaptation en collaboration avec des opérateurs publics comme Météo France dont les moyens doivent absolument être renforcés. Il comprend notamment, des rénovations énergétiques, des grands travaux de rénovation des canalisations, d’enfouissement des lignes à haute tension, de diagnostic et consolidation des ouvrages d’art, etc.
Pour faire face aux inondations, nous défendons la création d’un haut-commissariat du droit à l’eau, à l’assainissement et à la protection du cycle de l’eau dont les missions couvriront notamment la prévention des sécheresses et des inondations, la révision des plans de préventions des risques d’inondations, un plan d’investissement pour lutter contre les inondations par ruissellement et la montée des eaux ainsi que la création d’un fonds d’aide à la relocalisation des constructions menacées par les inondations et la montée des mers.
Plus fondamentalement, pour reprendre les mots de la philosophe marxiste américaine Nancy Fraser, “le capitalisme bien compris recèle une contradiction écologique profondément ancrée, qui l’incline de manière non accidentelle à la crise environnementale”. Le drame de Valence nous alerte donc sur l’urgence et la nécessité de rompre avec l’ordre économique et écologique néolibéral dominant.