Planifier la souveraineté énergétique en Guyane

Cette journée a été dédiée à la question de l’énergie. C’est un enjeu central en Guyane. Et particulièrement paradoxal : alors que les Guyanais ont un environnement permettant d’atteindre l’autonomie énergétique et le 100% énergies renouvelables, ils subissent coupures d’électricité incessantes et dépendance aux énergies fossiles. Cette ambition est loin d’une lubie insoumise, elle a déjà été chiffrée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), qui prévoit un investissement de 1,5 milliard d’euros à l’échelle du mandat pour atteindre cet objectif pour l’intégralité des territoire dits d’Outre-mer.

Pourtant, à l’heure actuelle, on part de loin. En Guyane, les coupures d’électricité sont très fréquentes. Le 27 août, une d’entre elles a touché 80% du territoire pendant 12 heures, ce qui représente 78 000 foyers dans le noir. Il y a quelques jours, la maire de Saint-Laurent me racontait que sa ville avait subi 60 coupures depuis le début de l’année 2023. En conséquence, elle compte sur 17 groupes électrogènes pour prendre le relai dans ce genre de cas. 

En cause pour la coupure de fin août, un problème lié aux lignes à haute tension du barrage de Petit-Saut. Ce dernier est indispensable à la Guyane, la production hydroélectrique représentant 47% de la production totale d’électricité. Un enseignement de cette coupure : il est essentiel de décentraliser la production d’électricité pour éviter de se rendre dépendant d’une ou deux installations massives. Et surtout, il y a urgence à sécuriser le réseau, ce qui nécessite des moyens importants. 

Nous nous sommes rendus à Petit-Saut, où nous avons pu échanger avec EDF, gestionnaire du barrage. Ils nous y ont évoqué les 180 kilomètres de lignes qu’il faudrait tirer en Guyane, ce qui nécessite de les installer dans la forêt avec toutes les difficultés logistiques et écologiques que cela suppose. 



Un autre enjeu dont nous avons discuté, et qui a été au cœur de tous nos échanges de la journée, voire de la semaine, c’est le problème du manque de formations. J’avais déjà appris l’absence d’école d’ingénieur en Guyane au début de mon déplacement. À la centrale EDF, on m’a évoqué le manque en matière d’électriciens bâtiment travaux publics, c’est-à-dire spécialistes des travaux d’installations de distribution de l’électricité. Plus tard dans la journée, l’équipe de l’entreprise Voltalia déplorait auprès de nous le manque de formation en génie électrique. 

En parallèle de cette centrale, la Guyane dépend toujours de moyens de production vétustes comme la centrale au fuel de Dégrad-des-Cannes, dont l’arrêt prévu est sans cesse reporté. L’urgence de sortir des énergies fossiles tout comme la croissance de la population rendent urgent le développement de nouveaux moyens de production. 


Bonne nouvelle, il y a des projets en cours. Je vous invite à relire ma note de blog d’il y a quelques jours dans laquelle j’évoquais le projet de Centrale électrique de l’Ouest guyanais (CEOG) prévu sur des terres coutumières, quand les populations locales proposent un emplacement alternatif à proximité.


Sur le chemin de Petit-Saut, nous avons ainsi pu faire un arrêt sur le projet Triton, qui prévoit la production d’électricité par la biomasse en récoltant du bois immergé dans le lac du barrage. Ce modèle inédit pose des questions, notamment en matière de préservation de la biodiversité et de pollution. Le projet “contribuerait à augmenter de manière substantielle la production de gaz à effet de serre de la retenue”, selon une étude récente de chercheurs de l’Office français de la biodiversité (OFB). 

L’important développement de l’énergie produite à partir de la biomasse en Guyane est un point d’attention. Les représentants des amérindiens et bushinengue que j’avais rencontrés il y a quelques jours étaient particulièrement inquiets. Avec 8 millions d’hectares de forêt, le potentiel est toutefois très important. Le développement des centrales biomasse devra passer par un plan de gestion raisonnée de la ressource, par une bonne insertion dans la filière bois. Ainsi, elle devra se faire en partenariat avec des scieries, pour que ces centrales soient alimentées par des résidus des coupes et non des grumes (troncs).


L’enjeu des biocarburants doit aussi attirer notre attention. “Aujourd’hui, on fait venir le colza par bateau de l’Hexagone”, me racontait-on lors de l’entretien avec EDF. C’est une des raisons pour lesquelles le projet actuel de centrale électrique du Larivot est également controversé. Elle doit fonctionner aux biocarburants liquides, avec de l’agrogazole importé qui arrivera directement au port de Dégrad-des-Cannes (à 14km de la nouvelle centrale), ce qui nécessitera la construction d’un oléoduc sur ces 14 kilomètres.

L’autonomie économique et énergétique des Guyanais doit être organisée, planifiée. L’État doit y mettre les moyens, afin de permettre aux Guyanais de la mettre en œuvre par eux-mêmes : en étant partie prenante de la planification, en bénéficiant localement des formations nécessaires, et en n’étant pas le bout de la chaîne de l’absurde grand déménagement du monde. 

L’énergie solaire est une des pistes. Il y a un enjeu également en matière de déchets : si l’objectif premier est évidemment leur réduction, ceux qui existent doivent pouvoir être collectés et triés, ce qui n’est pas le cas à cette heure. 

Comme une planification sérieuse ne peut que prendre en compte tous les aspects du problème, le sujet de l’efficacité énergétique des bâtiments est aussi à organiser. Je vous parlais il y a quelques jours du problème du logement. Si l’on veut permettre à chacun de vivre dans un appartement ou une maison digne sans que cela se traduise par une explosion des besoins d’énergie, le secteur de la construction devra prendre en compte cet aspect, et les formations en la matière devront aller avec.



Cette note de blog était la dernière de la semaine. J’espère que vous avez apprécié ces récits. Notre travail ne s’arrête pas là. Dans les prochains jours, nous débattrons du budget à l’Assemblée nationale. Je serai notamment présente lors des discussions relatives au volet “Outre-mer” pour, modestement, participer à porter la voix de celles et ceux que j’ai rencontrés lors de cette mission. Il faut dire qu’ils ont été nombreux :  nous avons réalisé près de 25 échanges, auditions, discussions. Nous nous sommes rendus à Cayenne, Saint-Laurent du Maroni, Maripasoula, Sinnamary et Kourou, en voiture, en hélicoptère, en pirogue. Dans quelques semaines, nous vous présenterons le rapport détaillé de notre mission. En espérant qu’il soit une pierre utile à la construction d’une Guyane où chacun puisse vivre mieux.

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