Ma proposition de loi pour protéger les services publics

En vingt ans, nos services publics ont été démantelés. Ils sont pourtant un pilier de l’État social français. La pandémie de Covid-19 a démontré l’ampleur du désastre à l’hôpital, privé de bras et de matériel. Mais le constat est le même partout. On peut citer les heures de cours perdues qui explosent faute de professeurs, les locaux scolaires insalubres et le matériel vétuste, les lignes de train du quotidien supprimées, les guichets et les gares qui ferment, les postes qui disparaissent, les heures de route pour arriver à la première Caisse d’allocations familiales (CAF) ou encore les délais des procédures judiciaires qui s’allongent. 

L’asphyxie de nos services publics ne sort pas de nulle part, mais bien de la politique économique ultra-austéritaire impulsée par l’Union européenne (UE) et avalisée par les présidents Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron. L’Union européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui est pourtant une construction illégitime face à la souveraineté du peuple français, en témoigne la violation du refus par le référendum du 29 mai 2005 du Traité Constitutionnel Européen (TCE). Le “non” l’avait emporté avec près de 55% des suffrages. Ce “non” a pourtant été transformé en “oui” par le traité de Lisbonne de 2007. Ce traité élaboré en catimini, reprend les dispositions du TCE, et a été ratifié en 2008 par le Parlement français. 

De cette politique économique ultralibérale de l’Union européenne découle son outil de contrôle des budgets nationaux, le semestre européen. Un peu trop de dette publique ? Il faut couper, ou plutôt « maîtriser », le budget de l’hôpital public. Un peu trop de déficit public ? Il faut « faire des économies » dans le budget de la SNCF. Et si un État refuse, il s’expose à des sanctions financières — enfin sur le papier. Depuis la création de ce mécanisme en 2011, les règles budgétaires européennes ont été violées à 171 reprises, dont 7 fois par l’Allemagne, sans qu’aucune sanction ne soit prise. 

Désobéir est courant dans tous les domaines. Les traités européens prévoient des procédures pour traiter les cas de « désobéissance », soit la non application volontaire ou involontaire du droit de l’Union européenne. Il s’agit des procédures dites de « recours en manquement ». Dans ce cadre, la Commission européenne met régulièrement en demeure la France et d’autres États de l’UE de respecter le droit européen. Il faut rappeler que la Commission européenne est libre de ne pas poursuivre un État qui ne respecterait pas les règles européennes. À ce titre, elle n’a pas engagé de poursuites lors de la pandémie de Covid 19 pour le non-respect des règles budgétaires et le déficit de 3%. En revanche, la France a été poursuivie notamment pour « mauvaise qualité de l’air », « manquements en matière d’eau potable », et des méthodes illégales de chasse et de capture d’oiseaux. Notre pays a également été plusieurs fois condamné, notamment sur la directive nitrates de 1991 (protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles), qui devait être transposée avant 1994 et pour laquelle la France ayant été condamnée en 2013 après 20 ans de désobéissance volontaire sous quatre présidents différents ; puis sur la directive “habitats” de 1992 (zones « Natura 2000 » avec conservation des habitats naturels, faune et flore sauvage) qui devait être transposée avant 1995 et pour laquelle la France a été condamnée en 2010. Ainsi, dans tous les domaines, notamment, l’écologie et le droit social, la « désobéissance » du Gouvernement français va seulement dans le sens d’une régression ! Nous sommes par conséquent d’autant plus légitimes à désobéir dans le sens d’une amélioration des conditions de vie de nos concitoyens. 

De nouvelles règles économiques, compatibles avec le financement de l’État social et de la bifurcation écologique, doivent être discutées. Mais en attendant, il est nécessaire de refuser de se plier aux recommandations de la Commission dans le cadre du Semestre européen, et à des dogmes économiques qui n’ont aucune assise démocratique. 

La préservation des services publics impose de ne plus respecter les règles absurdes de déficit et de dette publique. Si la France souhaite le faire, elle en aurait les moyens. Elle pourrait ainsi faire valoir s’il le faut d’autres engagements qui la contraignent à investir dans ses services publics, par exemple pour la bifurcation écologique, comme l’Accord de Paris et la loi climat européenne. Et si des sanctions financières venaient à lui être imposées, elle pourrait les déduire de sa contribution au budget de l’Union européenne.

La protection des services publics français face à l’Union européenne ne se limite pas à un enjeu de financements. Elle implique le refus de la libéralisation imposée par le cadre européen dans de nombreux secteurs. Le retour à un service public national de l’électricité en sortant du marché européen de l’électricité et en créant un pôle public de l’énergie, permettra notamment de remettre en place des tarifs réglementés pérennes et d’y inclure des objectifs sociaux, comme la gratuité des premiers kilowattheures, garantissant le droit à l’énergie pour les usages de base. Cela contrevient de fait à la directive du 19 décembre 1996 sur le secteur de l’électricité imposant la concurrence dans ces domaines. L’on pourrait également développer le même raisonnement avec la directive du 23 octobre 2007 sur le secteur ferroviaire. 

Une telle action politique correspondrait pourtant à l’application de la volonté populaire. On la constate notamment dans de nombreuses enquêtes d’opinion. Certaines montrent l’attachement aux services publics. Par exemple, 93% des Français sont pour un grand plan d’investissement dans les services publics, en particulier de santé (Ifop, mai 2021). Ou encore, 76% des Français sont pour le retour d’un contrôle public sur le rail et les trains (Harris interactive, juillet 2021). D’autres montrent même le soutien à un élargissement du champ des services publics : 86% des Français sont pour la création d’un service public dédié au maintien à domicile des seniors (Harris interactive, juillet 2021). 

Cette volonté populaire est par ailleurs très régulièrement réaffirmée dans des manifestations revendicatives. Ces derniers mois, des rassemblements se sont ainsi multipliés contre les fermetures des services d’urgence ou les fermetures de classes, dans les grandes villes comme dans les petites communes. Ces dernières décennies, les slogans, pancartes et banderoles “Sauvons les services publics”, “Du fric pour l’hôpital public” ou encore “Pas de république sans service public” fleurissent régulièrement dans les rues du pays.

L’importance fondamentale des services publics pour le peuple français est présente à l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 : “Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité”. Cette phrase n’a cependant pas été une barrière suffisante pour empêcher les privatisations et ouverture à la concurrence de nombreux services publics ces trente dernières années. Elle n’est donc pas à la hauteur de l’attachement du peuple français à ses services publics. 

En outre, notre jurisprudence constitutionnelle permet d’ores et déjà dans certains domaines de déroger à la malheureuse règle constitutionnelle de primauté du droit européen. En effet, depuis une décision du du 10 juin 2004, précisée ensuite en juillet 2006, le Conseil constitutionnel a développé une jurisprudence spécifique aux lois ayant pour objet de transposer en droit interne une directive de l’Union européenne. Aux termes de cette jurisprudence, s’il résulte de l’article 88-1 de la Constitution une exigence constitutionnelle de transposer les directives de l’Union européenne, la transposition d’une directive ne saurait toutefois aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti. Lorsqu’une méconnaissance des droits et libertés protégés par la Constitution trouve son origine dans un acte de l’Union européenne alors que ces droits et libertés sont également protégés par le droit de l’Union européenne, le Conseil constitutionnel laisse le soin d’en assurer le respect au juge de droit commun du droit de l’Union. Néanmoins, lorsque sont en cause des règles et principes inhérents à l’identité constitutionnelle de la France, c’est au Conseil constitutionnel lui-même qu’il revient d’en assurer le respect. 

D’après le Conseil, cette réserve de compétence qui lui est propre, également intitulée « clause de sauvegarde », est la traduction de l’article 4 du Traité sur l’Union européenne aux termes duquel « L’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale. Elle respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre ». Il ressort de différentes décisions du Conseil constitutionnel que pour écarter la qualification de règle ou de principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, le Conseil s’est jusqu’à présent appuyé sur le fait que cette règle ou ce principe était « également protégé » par le droit de l’Union européenne. De nouveau, en octobre 2021, le Conseil s’est estimé compétent pour contrôler des dispositions en cause aux droits et libertés que la Constitution garantit « que dans la mesure où elles mettent en cause une règle ou un principe qui, ne trouvant pas de protection équivalente dans le droit de l’Union européenne, est inhérent à l’identité constitutionnelle de la France ». En l’espèce, le Conseil a déduit de l’article 12 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 selon lequel « La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée » un principe interdisant de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits, principe qu’il a consacré comme un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France. Cette interdiction est bien propre à l’ordre constitutionnel français puisqu’elle traduit une exigence particulière des conditions du recours à la force publique et de l’exercice des pouvoirs de police qui n’a pas d’équivalent au sein du droit de l’Union européenne. À cette occasion, il a pour la première fois explicité un critère de détermination d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France en indiquant que sont à ce titre visés des règles ou principes qui ne trouvent pas de protection équivalente dans le droit de l’Union européenne. 

Pourquoi ne pas étendre un tel raisonnement aux caractère social de la République inscrit dans l’article 1er de notre Constitution et aux services publics ? Aucune règle de l’Union européenne ne permettant de protéger les services publics nationaux de la privatisation à outrance et cette dernière encourageant au contraire une concurrence sans limite menant à leur défaillance et destruction. Le monopole public des services publics nationaux doit devenir un élément de l’identité constitutionnelle de la France, inscrit dans notre Constitution notamment afin d’éviter d’être soumis aux aléas de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cette dernière étant trop incertaine car susceptible d’être modifiée à tout moment. 

Tout gouvernement désireux de mettre sur pied une politique de transformation sociale à service des besoins et de l’égalité devrait revenir sur les politiques de casse des services publics. Il pourrait agir immédiatement et devra notamment désobéir aux règles européennes pour ce faire tout en lançant dans le même temps un processus constituant afin de tourner la page de la Ve République datée et rejetée par le peuple français, 63% de nos concitoyens étant favorables à la convocation d’une Assemblée constituante, chargée de rédiger une nouvelle Constitution pour la France (Harris interactive, juillet 2021) comme le prévoit notre programme l’Avenir en commun. 

Il apparaît nécessaire de proposer que la nouvelle loi fondamentale intègre les services publics à l’identité constitutionnelle de la France. Cela permettrait de sécuriser la souveraineté du peuple français en protégeant ses services publics des atteintes que pourraient lui imposer le droit de l’Union européenne
Mais, en attendant que le peuple souverain re-définisse les règles communes en écrivant une nouvelle République à travers une Assemblée constituante et sans renoncer à désobéir autant que nécessaire d’ici là, nous proposons une révision constitutionnelle, visant à assurer la souveraineté du peuple français constitutionnelle bafouée depuis la création de l’Union européenne, en particulier depuis 2005. Le présent texte a pour objectif d’inscrire le principe de monopole public associé aux services publics dans la Constitution, dans une formulation qui correspond aux besoins contemporains de nos concitoyens. La présente proposition de loi constitutionnelle permet de rendre impossible d’invoquer des normes européennes pour s’opposer aux lois qui mettraient en place des nationalisations ou des monopoles publics dans les domaines du transport, de l’énergie, de la banque, ou encore du médicament, et reconnaît le caractère social de la République et ses services publics débarrassés de toute concurrence comme des principes inhérents à l’identité constitutionnelle de la France, notion jurisprudentielle qu’elle inscrit dans la Constitution. Cette proposition de loi constitutionnelle est inspirée des travaux de l’ancien garde des sceaux Michel Vauzelle, de l’ancienne vice-présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale Marie-Françoise ­Bechtel et de l’essayiste Aurélien Bernier.

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