Des services publics pour le désenclavement et pour vivre dignement


Aujourd’hui, j’étais à Saint-Laurent du Maroni et à Sinnamary. J’ai rencontré les maires des deux villes, des travailleurs sociaux et des acteurs du logement (bailleurs sociaux, architectes, service d’accompagnement). On a parlé de l’enclavement, de la paupérisation de l’Ouest guyanais et du manque de services publics. 


Encore et toujours le désenclavement


Aujourd’hui encore, le principal sujet de mes échanges avec les acteurs que je rencontre est l’enclavement du territoire guyanais. La route du fleuve est sur toutes les lèvres, et décrite comme une nécessité absolue. La maire de Saint-Laurent désespère : “Tout est à construire : actuellement, les pompiers doivent faire un détour de 15 minutes lorsqu’il pleut car la route n’est pas finie vers l’hôpital”. Elle me raconte également que, lors de l’élection du conseil municipal, la commune doit louer un avion de brousse si elle veut s’assurer d’avoir le quorum nécessaire. Des obstacles permanents qui n’empêchent pas une volonté de faire à toute épreuve.


Crise du logement 



Je vous en parlais dans ma première note : en Guyane, un tiers des logements sont sur-occupés (quatre fois plus que dans l’Hexagone). 47% des logements présentent au moins un défaut grave et sont donc potentiellement insalubres. Le manque structurel de logements – et de logements à bas coûts – favorise l’émergence de quartiers précaires informels. Depuis 20 ans, le logement illégal croît plus rapidement que le logement légal : on estime à 37 000 le nombre d’habitations informelles en Guyane.  

À Saint-Laurent du Maroni, il y a 49 000 habitants. Ça, c’est la version officielle : selon la maire Sophie Charles, ils sont en réalité 80 000. Elle m’explique que la ville aurait besoin de 1 500 nouveaux logements chaque année pour accueillir sa population grandissante, or le rythme actuel est de 800 par an. En conséquence, les quartiers informels grandissent d’année en année : elle estime à 18 000 le nombre d’habitations informelles sur sa commune. Un autre facteur d’amplification de cette crise du logement, c’est la difficulté d’accès aux logements sociaux qui sont trop peu nombreux, et conditionnés à la nationalité française. La maire m’explique que les logements sociaux sont principalement utilisés par les classes moyennes, qui ne peuvent pas acheter de terrain constructible faute de foncier disponible. 

Plutôt que d’aider les communes guyanaises à construire assez d’habitations pour loger une population en croissance, l’État macroniste répond par la violence au travers d’opérations d’évacuation et de démolition des quartiers informels. 5 000 personnes ont ainsi été déplacées depuis 2019, sans solution de relogement. Cette situation qui sur-précarise les plus fragiles s’inscrit, pour l’État, dans la lutte contre l’immigration, comme pour l’opération Wuambushu à Mayotte. Pourtant, selon le président du premier bailleur social guyanais avec qui j’ai échangé, 40% des occupants des habitats informels ont des papiers. 

Avec la maire de Cayenne, nous avons visité un camp dans lequel vivent près de 200 migrants, notamment des Afghans et des Syriens. J’ai été frappée par le nombre d’enfants qui y vivent dans de mauvaises conditions : tentes, toilettes de fortune, épidémies de gale, etc. La maire a demandé un arrêté préfectoral de relogement, sans réponse effective de l’État. Le pourrissement de la situation divise les gens les uns contre les autres, quand les coupables de cette situation sont à chercher en haut. 



L’hôpital au bout du rouleau 



Le logement n’est malheureusement pas le seul secteur en crise. 

Le Centre Hospitalier de l’Ouest guyanais, à Saint-Laurent, souffre d’une pénurie de personnel : il y a actuellement 12 infirmiers pour un objectif de 28. En conséquence, depuis août, l’accès aux urgences est régulé entre 19h et 7h : seules les personnes amenées par les pompiers ou le Samu peuvent y accéder – c’était déjà le cas l’été dernier. Le dispositif devait prendre fin le 4 septembre mais a finalement été prolongé. La maire de Saint-Laurent le déplore : elle m’explique que les infirmiers et infirmières sont recrutés en intérim, car il y a énormément de roulement des effectifs.

Cette situation n’est pas spécifique à Saint-Laurent : la Guyane est le plus grand désert médical de France. Le nombre de personnels médicaux et paramédicaux est inférieur de 50% à la moyenne nationale. Proportionnellement à la population, il y a sur le territoire deux fois moins de médecins que dans le reste du pays. Pour 100 000 habitants, il y a en Guyane deux fois moins de lits d’hospitalisation de jour que dans l’Hexagone, et quatre fois moins de lits de soins de suite et de réadaptation. Faute de d’infrastructures suffisantes, 700 enfants guyanais en situation de handicap sont en attente d’une place dans un établissement médico-social.  

Pour pallier le manque d’accès aux services de santé dans l’Ouest guyanais, trois centres délocalisés de prévention et de soin, aussi qualifiés d’hôpitaux de proximité, ont ouvert cet été à Maripasoula, Grand-Santi et Saint-Georges. C’est un début, mais c’est insuffisant : ils exerceront une activité de médecine mais pas de chirurgie, et il n’y aura pas de maternité. 

En août 2023, une étude du Centre régional d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes vulnérables (Creai) estime qu’en proportion de la population, les Guyanais perçoivent deux fois moins de prestations sociales liées au handicap que le reste de la France. L’étude conclut qu’il y a un grave problème d’accessibilité aux droits en Guyane : en effet, il est probable qu’il y ait plus de personnes en situation de handicap que dans la moyenne française : précarité, insalubrité des logements, cruel manque d’infrastructures médico-sociales, et impact de la pollution au mercure qui crée des lésions neurologiques chez les enfants sont autant de facteurs de risque non-négligeables.

Par ailleurs, à Saint-Laurent, il y a eu 60 coupures d’électricité depuis le début de l’année, chaque fois accompagnées de coupures d’eau – l’alimentation en eau se fait par des pompes électriques. 

Cette situation nourrit le sentiment d’injustice dont me font part tous mes interlocuteurs depuis le début de cette mission parlementaire. C’est intolérable. Les Guyanais doivent pouvoir vivre dignement, et avoir accès aux mêmes services publics que leurs compatriotes hexagonaux. Nous devons garantir la continuité territoriale entre la Guyane et l’Hexagone et le désenclavement intra et extra-territorial. 


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