« La gauche ne peut survivre que si elle est radicale. » Interview pour la presse italienne.

Alors que l’extrême droite progresse aux élections européennes, et la gauche ?


« Un réagencement est nécessaire. En France, nous avons gagné lorsque nous avons marqué une rupture », affirme la responsable du programme de La France insoumise, vice-présidente de l’Assemblée nationale. « La rupture avec les socialistes est désormais trop profonde, nous ne nous parlons plus. » Mélenchon, lui, se prépare pour la course présidentielle.

Clémence Guetté arrive en Italie ce samedi pour participer à deux initiatives de Potere al popolo contre le réarmement. Vice-présidente de l’Assemblée nationale et architecte du programme de La France insoumise, elle incarne le versant institutionnel et stratégique d’une gauche radicale de rupture.

La rupture concerne bien sûr Macron, mais aussi « un centre-gauche néolibéral qui a ouvert la voie à l’extrême droite ». En revanche, aucune fissure du côté de Jean-Luc Mélenchon, fondateur des insoumis et éternel candidat à la présidentielle, qu’elle considère toujours comme « la figure la mieux placée » pour 2027. Elle codirige avec lui l’Institut La Boétie.

Et son rôle dans la formation « des jeunes, les cadres de demain », montre que la vice-présidente, née en 1991, est tournée vers l’avenir.

Les dernières élections en Roumanie, Pologne et au Portugal soulignent-elles l’invisibilité de la gauche en Europe ?

La situation est indéniablement compliquée, et ces élections – comme celles en Allemagne – sont inquiétantes en raison de la puissante résurgence électorale de l’extrême droite. Cette tendance concerne toute l’Europe, et pas seulement (Trump, Milei…).

Dans un climat aussi polarisé, la gauche européenne doit-elle se reconfigurer ?

Le cas français montre que la gauche peut gagner : aux législatives de 2024, le bloc uni de la gauche est devenu la première force, même si Macron a ignoré ce résultat. En France, la gauche résiste bien, et en son sein, une force radicale de rupture existe. Ce sont deux spécificités qui font exception en Europe.

La gauche européenne doit prendre des décisions stratégiques. L’expérience française est une leçon : quand la social-démocratie a trahi son électorat pour adopter une ligne néolibérale – comme sous Hollande –, elle a ouvert la voie à l’extrême droite.

L’union avec les socialistes en 2024 était-elle sincère ?

Elle n’a été possible que sur la base d’une rupture commune avec ce système.

Faure avait initialement soutenu cette ligne. Que s’est-il passé ?

Un certain cynisme politique : lors de la première union (la NUPES en 2022), les socialistes sortaient des présidentielles avec moins de 2 %, Mélenchon avait fait 22 %. L’équilibre était clair. Mais après les européennes, les socialistes se sont un peu repris et se sentent désormais assez forts pour se tourner vers le prétendu centre, un bloc néolibéral.

Le macronisme a éloigné les socialistes de vous. Mais qu’ont-ils obtenu en retour ? Le dialogue est-il encore possible ?

Il n’y a plus de discussion. Depuis qu’ils n’ont pas voté la motion de censure contre le gouvernement Bayrou, la rupture est trop profonde.

Lors des négociations pour le Nouveau Front populaire, j’étais présente. Nous avions convenu de tourner la page du macronisme, et nous partagions une indignation démocratique lorsque Macron a nommé Barnier, que nous avons tenté de censurer.

Mais les socialistes ont refusé de censurer Bayrou, donc de fragiliser Macron, contrairement à notre plan initial. Cela a été une trahison : ils ont rompu l’alignement stratégique, probablement sensibles aux pressions budgétaires.

Bayrou a gagné du temps, les socialistes n’ont rien gagné : la discussion sur la réforme des retraites reste une farce, et les promesses de postes pour les enseignants seront sacrifiées sur l’autel d’un nouveau plan d’austérité.

Pas de candidat commun à la présidentielle ? Mélenchon sera-t-il à nouveau candidat ? Faut-il un renouvellement ?

Le premier test sera les municipales de 2026. Notre proposition d’un accord national a déjà été rejetée.

Raphaël Glucksmann veut se présenter : il y aura plusieurs candidats. Pour nous, Mélenchon reste aujourd’hui la figure la mieux placée. Quant aux critiques contre lui, il ne faut pas être naïf : elles sont purement politiciennes. Il est attaqué parce qu’il est le plus exposé. Nous sommes un parti anticapitaliste qui veut remettre profondément en cause le système.

Macron vous place dans le camp anti-républicain. Que répondez-vous en tant que vice-présidente de l’Assemblée ?

Que nous sommes profondément attachés à l’idéal républicain, dont nous revendiquons l’héritage révolutionnaire. Les tentatives de Macron de nous diaboliser tout en normalisant l’extrême droite ne fonctionneront pas : les gens ne sont pas dupes.

Macron déclare vouloir gouverner en temps de guerre, sur tous les fronts, de l’économie à la politique. Cette rhétorique guerrière peut-elle encore étouffer l’émergence d’une alternative de gauche ?

Il l’utilise clairement comme levier, se posant en président en guerre. Mais en France, il y a déjà des mobilisations de masse : cette logique de réarmement ne peut pas servir de prétexte à une boucherie sociale. Ce samedi, je serai à Rome et à Naples avec des collègues de Podemos et du PTB, pour soutenir Potere al popolo dans leurs initiatives contre le réarmement.

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