Lycées pro, apprentissage : les macronistes cassent tout

En cette rentrée, Emmanuel Macron se pavane pour vanter sa réforme du lycée professionnel. Il était ainsi ce vendredi au lycée professionnel de l’Argensol à Orange, dans le Vaucluse. 

Disons-nous les choses franchement : cette réforme est un désastre, et ses prétendus bénéfices sont un enfumage. Je vous explique pourquoi rien ne va, et comment nous proposons de tout changer. 

Je vous en avais déjà écrit quelques mots en mai dernier, quand Macron était venu dévoiler son projet derrière un cordon de CRS.


Je vous expliquais la logique de son projet : moins de temps en cours, plus de temps en entreprise. 

Depuis, on en sait plus sur les dispositifs qui commencent dès cette rentrée. Il s’agit d’adapter le contenu des formations aux bassins d’emploi. En résumé : les lycées devront dispenser les cours qui arrangent les entreprises qui recrutent dans les alentours (les “métiers en tension”, en novlangue macroniste). Avec un exemple concret lors du déplacement du président. Près d’Orange, on trouve la centrale nucléaire du Tricastin : voilà le débouché où il s’agira désormais d’en envoyer un maximum. Et s’ils veulent déménager ailleurs en France ? Tant pis pour eux. Et si les “métiers en tension” se caractérisent par de faibles rémunérations et de mauvaises conditions de travail ? Tant pis pour eux. 

Le choix de ce secteur montre que les macronistes prennent le problème tout à fait dans le mauvais sens. Le nucléaire est identifié comme filière d’avenir… alors que la loi de programmation sur l’énergie et le climat n’a pas encore été discutée. C’est pourtant cette loi qui est censée permettre aux députés de décider si oui ou non le nucléaire doit être relancé !

Une oreille distraite pourrait entendre une bonne nouvelle : Emmanuel Macron annonce que les enseignements seront donnés en petits groupes, afin d’éviter le décrochage. Sauf que ce n’est pas vrai. Pour que ces enseignements aient bien lieu en plus petits groupes, il faudra que les enseignants fassent des heures supplémentaires sans augmentation de salaire mais en échange d’une prime : c’est le nouveau “Pacte enseignant”. Conclusion : la ministre de l’enseignement et de la formation professionnelle Carole Grandjean “ment quand elle dit que tous les élèves de lycées pro seront dans des groupes à effectif réduit. C’est un mensonge”,  selon Sigrid Gérardin, du syndicat Snuep-FSU. La conséquence logique est mise en lumière par Jérôme Fournier, secrétaire national de l’Unsa : “Ne pas permettre à tous les lycéens de la voie pro d’avoir accès à tous les dispositifs prévus, c’est une véritable inégalité. Comment l’école de la République peut être inégalitaire ?”. Visiblement, en macronie, on ne s’embarrasse pas des principes républicains. 

L’école républicaine devrait pourtant être un lieu d’émancipation, d’élargissement de horizons, plutôt que de cornaquage dans les limites des “métiers en tension” d’un “bassin d’emploi”.

Il serait trop optimiste de penser que les macronistes s’arrêtent au lycée. “Dès la 5e, il s’agit de faire entrer les métiers au collège”, claironnait Emmanuel Macron au journal Le Point la semaine dernière. Évidemment, par “les métiers”, il faut entendre “les entreprises”, et donc, substituer au cours des enseignants les PowerPoint de recruteurs.

Ce sera donc une demi-journée tous les quinze jours… si les enseignants font des heures supplémentaires pour l’organiser, toujours dans le cadre du fameux pacte. Là encore, il s’agira évidemment de présenter les “métiers en tension”. À ce rythme-là, on pourrait remplacer le Conseil supérieur des programmes de l’Éducation nationale par un algorithme basé sur les chiffres de créations d’emploi. 

S’il ne s’agissait là que de désaccords sur le rôle de l’Éducation nationale, le débat serait possible. Mais la politique macroniste se heurte au mur de la réalité : elle ne crée que des emplois mal rémunérés et précaires, fabriquant à la chaîne chômeurs et travailleurs pauvres. La part d’emplois précaires chez les moins de 25 ans est de 52,7 % aujourd’hui,

contre 16% au début des années 1980. 80 000 jeunes de niveau CAP ou bac pro se retrouvent dans l’impasse chaque année à cause d’un contrat d’apprentissage rompu en cours de route. 

Tout cela se fait au mépris de toute considération d’efficacité budgétaire. Le financement public de l’apprentissage a doublé depuis 2018, atteignant 20 milliards en 2022. Ces milliards d’euros de subventions publiques versées aux entreprises pour l’embauche d’apprentis le sont au détriment de ceux qui seraient nécessaires aux établissements scolaires : 137 lycées professionnels autonomes ont ainsi fermé depuis 2010.

Plutôt que d’évaluer sa politique, le gouvernement fonce dans le mur : il y avait 321 000 contrats d’apprentissage en 2018, 837 000 en 2022, il vise 1 million d’ici à 2027. Le tout à fonds perdus pour l’État et la Sécurité sociale : entre abattements fiscaux, exonérations de cotisations et très faible contribution des entreprises au financement de la formation professionnelle, ces emplois précaires sont créés au détriment des services publics et de l’équilibre des caisses de retraite.

On pourrait faire tellement différemment, tellement plus efficace, tellement plus à la hauteur des défis qui nous font face.


Tout cela avait été développé dans un plan présenté lors de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon en 2022 et qui conserve toute sa pertinence. 


Il faudra donc gouverner par les besoins. En mettant tout le monde autour de la table, la Nation pourra se donner des objectifs de bifurcation écologique et de progrès social et humain, puis se donner les moyens d’y parvenir. De ce plan dépendra une politique de formation professionnelle organisée : pour passer au 100% d’énergies renouvelables, il nous faudra des milliers de métallurgistes, chaudronniers, soudeurs, électrotechniciens, ouvriers de maintenance, etc.

Un Conseil national de la qualification serait chargé de rétablir un cadre national unique pour fixer les contenus d’enseignement correspondant à chaque diplôme. Cela apporterait plus de sécurité pour les travailleurs et les entreprises : chacun saurait à quoi ces qualifications correspondent, et ces diplômes correspondraient à des grades offrent des garanties salariales à travers les grilles de classification des conventions collectives. 

Il s’agira d’adapter le contenu des formations aux métiers de demain, et non aux besoins des recruteurs aujourd’hui. Évidemment, il s’agira aussi de reconstruire un service public de l’enseignement et de la formation. Il faudra mailler le pays de centres polytechniques professionnels permettant d’obtenir CAP, BTS, IUT, Licence pro et validation des acquis de l’expérience (VAE). Le baccalauréat professionnel s’obtiendrait à nouveau en quatre ans et les CAP en trois ans. 

Voici quelques pistes qui permettraient de remédier à ce que l’historien Johann Chapoutot appelle cette semaine dans Libération la “crise de l’avenir”.

On ne peut que partager sa conclusion, préalable indispensable pour tourner la page des Macron et de leur monde inquiétant et étriqué : “Que faire ? Voter et lutter contre ceux qui ne jurent que par le pire du XXe siècle (méga-événements sportifs, fascisation rampante, consommation à outrance) ou du XIXe (extractivisme généralisé, culte morbide de l’argent, régressions juridiques tous azimuts), en nous refusant obstinément tout avenir”.


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